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y lisait quelques paroles bienveillantes sur les antécédens de son adversaire, sur ses premiers écrits : c’était donc un livre sans sexe ; le bien qui s’y trouvait manquait d’à-propos ; le reste n’eût jamais dû être écrit. Les moins exigeans s’en contentaient, pourvu que ce fût là le commencement d’une guerre sans relâche, et le premier de cent traités du même genre ; ils disposaient ainsi des dernières années de l’illustre vieillard, ils faisaient main-basse sur son repos, ils se distribuaient les rares intervalles de ses souffrances, ils lui interdisaient le sommeil. Il se mêlait à ces exigences de parti un misérable intérêt de curiosité ; on voulait voir aux prises les deux plus grands noms de la chrétienté : c’était un spectacle où l’on se promettait un double plaisir, plaisir d’opinion et plaisir de théâtre ; malheur à celui des deux adversaires qui s’y ferait trop long-temps attendre !

Ainsi Érasme n’avait fait que tromper diversement l’attente de ses amis. Quant à ses irréconciliables ennemis, les moines et leurs adhérens, son traité redoubla leurs criailleries. Ils avaient un instinct juste du rôle d’Érasme dans cette grande querelle. Ils distinguaient très bien l’alliage de rationalisme qui se mêlait à ses professions de foi, et ne voulaient pas d’un catholique qui traitât sa croyance comme une propriété personnelle. Ils continuaient à l’envelopper dans la cause de Luther, et même à le traiter plus mal que son ennemi. « Érasme avait pondu les œufs, disaient-ils dans leur grossier langage ; Luther avait éclos les poulets. Luther n’était qu’un pestiféré : c’était Érasme qui avait apporté le grain de peste. Érasme était un soldat de Pilate, le dragon dont parlent les psaumes. » — « Il eût été bon, criait un moine, que cet homme ne fût jamais né ; » manière indirecte de demander le bûcher pour abréger la durée de ce malheur. Quelques casuistes du monachisme avaient dans leur chambre un portrait d’Érasme, sur lequel ils se donnaient le sauvage plaisir de cracher chaque matin ; d’autres disaient hautement qu’il était révoltant qu’on eût fait mourir tant d’hommes en Allemagne pour avoir arboré les hérésies d’Érasme, et que l’auteur de ces hérésies fût encore en vie.

Quant à Luther, on va juger par la lettre suivante, écrite un peu avant la publication du traité du Libre arbitre, et très certainement pour en détourner Érasme par la peur de la réponse,