Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/413

Cette page a été validée par deux contributeurs.
405
ÉRASME.

Rends-moi ma jeunesse, rends-moi ma santé. Plût au ciel que j’eusse de moins bonnes excuses ! » Il demandait à Adrien la permission de lui soumettre quelques conseils. « Je t’en supplie, saint père, accorde cette grace à ta petite brebis[1], afin qu’elle puisse parler plus librement à son pasteur. Si l’on est résolu à écraser ce mal avec la prison, la torture, les confiscations, les exils, les supplices, on n’a pas besoin de mes conseils. Je pense pourtant qu’un avis plus humain plaira davantage à un homme du caractère doux que je te sais, et qu’il sera plus dans ton penchant de guérir les maux que de les châtier. » Il proposait quelques moyens coercitifs qui sont et seront toujours impuissans, à l’éternelle dérision de ceux qui les conseillent. « En attendant, qu’on étouffe, par les magistrats et les princes, les mouvemens qui excitent à la sédition sans profiter à la piété : je désirerais, si la chose était possible, qu’on arrêtât le débordement des libelles. » C’eût été l’un des moyens de les faire lire. Mais voici une courageuse parole qui efface ces tristes conseils, qu’il ne faudrait pourtant pas juger par les idées de nos deux révolutions : « Qu’on donne au monde l’espérance qu’il sera porté remède aux abus dont il a tant raison de se plaindre. »

Érasme, d’ailleurs, se rendait justice. Épuisé de maladies et de travaux, vieux, infirme, quelle grace aurait-il à lutter corps à corps avec un homme dans toute la force de l’âge et du talent, ardent, audacieux, soutenu par des princes et des armées ? « Cela pourrait sembler une cruauté, écrivait-il, si j’achevais de frapper avec ma plume un homme déjà renversé, battu, brûlé en effigie ; outre qu’il serait peu sûr pour moi de déchaîner sur ma tête un adversaire qui n’est ni sans dents ni sans poignets, et qui, si j’en crois ses écrits, a du foin dans sa corne. » De ces deux phrases, la première était de la rhétorique, la seconde exprimait les vrais sentimens d’Érasme. Il ne voulait pas lutter avec des armes inégales. Malgré sa prodigieuse réputation, l’astre de la Germanie savait reconnaître le talent de Luther ; il appréciait « ce génie véhément, ce caractère d’Achille, qui ne sait point céder[2]. » À

  1. Permittas hanc veniam oviculæ tuæ
  2. Lettre à Mélanchton. 822. C. D.