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tu donc à tourner ta plume contre les folies de ces impies, dont Dieu a si visiblement détourné sa face ? Lève-toi, lève-toi, Érasme, et viens au secours de la cause de Dieu ; fais servir à sa plus grande gloire les grands talens que tu as reçus de lui. Songe qu’il n’appartient qu’à toi, avec l’aide de Dieu, de ramener dans la droite voie une partie de ceux qui s’en sont écartés pour suivre Luther, de raffermir ceux qui ne sont pas encore tombés, de retenir dans leur chute ceux qui chancellent. » Adrien l’invitait, en terminant, à venir à Rome, afin de lancer avec plus d’autorité ses apologies catholiques du pied de la chaire de saint Pierre.

« Hélas ! hélas ! répondait Érasme[1], j’obéis aux édits du plus cruel de tous les tyrans. Quel tyran ? diras-tu. Il surpasse en cruauté Phalaris et Mézence : la gravelle est son nom… Que n’ai-je tous les moyens d’influence que tu me prêtes ! je n’hésiterais pas, même au prix de ma vie, à porter remède aux malheurs publics. Mais d’abord je suis surpassé en style par plusieurs, outre que de telles affaires ne se peuvent pas traiter avec du style. Mon érudition est médiocre, et le peu que j’en ai, puisé aux sources des auteurs anciens, est plus propre à la discussion qu’au combat. Quelle pourrait être l’autorité d’un petit homme comme moi ? La faveur qu’on m’a jadis témoignée, ou bien s’est refroidie, ou bien s’est tournée en haine. Moi, qui autrefois était qualifié, dans cent lettres, de héros trois fois grand, de prince des lettres, d’astre de la Germanie, de grand-prêtre des belles-lettres, de vengeur de la vraie théologie, aujourd’hui, ou l’on me passe sous silence, ou l’on me prodigue des qualifications toutes différentes. Je ne regrette pas ces vains titres, qui ne faisaient que m’ennuyer ; mais combien ne vois-je pas de gens déchaînés contre moi, qui me poursuivent d’odieux libelles, qui me menacent de mort si je bouge en faveur du parti contraire !… N’ai-je pas sujet de déplorer ma vieillesse qui est tombée dans ce siècle, comme le rat dans la poix, pour parler comme le peuple ?… Quand tu me dis : Viens à Rome, n’est-ce pas comme si quelqu’un disait à l’écrevisse : Vole ? — Donne-moi des ailes, répondrait l’écrevisse. Je dirai, moi aussi :

  1. 745-746.