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ÉRASME.

quelles se mêlaient, il faut bien le dire, les défauts même de ces qualités et certaines velléités de passion auxquelles n’échappent pas même les hommes les plus modérés, quand ils se voient les premiers par l’intelligence et les seconds par l’action. Il leur prend alors de poignantes envies d’être les premiers par ces deux choses ; mais le matin du jour où il faut agir, le goût du repos, un livre, un doute les rend à leur modération naturelle, non sans avoir encouru le discrédit d’une velléité sans effet, et de paroles sincères qui sont devenues, faute de suite, de vaines bravades. Dans la même lettre, je vois Érasme montrer au commencement sa pointe d’ambition ; il la cache vers la fin.

Quand il eut donné, par sa lettre à Luther, de la publicité à ses relations avec cet homme, dès lors si regardé et si menaçant, les demandes d’explication l’assaillirent de toutes parts. Les moines triomphaient. La conspiration entre Érasme et Luther était un fait public. Toutes les chaires redoublaient d’invectives ; les deux noms étaient plus que jamais accolés alors que les deux hommes étaient plus que jamais ennemis. Seulement Érasme recevait plus d’injures que Luther, et la raison en est toute simple ; on le traitait en renégat. Cette préférence le flattait ; il le laisse voir dans ses lettres. Il se croyait le plus haï ; il n’était que le plus méprisé. Tout ce qu’il comptait d’amis sincères l’interrogeaient sur cette fameuse lettre : qu’avait-il dit à un homme qui se moquait du pape et parlait de faire brûler ses bulles ? Érasme répondait à tous et retournait le même sujet de mille façons, expliquant son rôle, se défendant d’avoir lu les livres de Luther, si ce n’est en courant, du coin de l’œil, trop légèrement pour y voir le poison ; du reste reproduisant sous toutes les formes les propres paroles de sa lettre à Luther, et n’y changeant rien au fond, mais dans la forme, les modifiant selon les gens. À ceux qui penchaient pour les idées de réforme, il parlait avec complaisance des qualités personnelles de Luther, et des bruits favorables qu’on lui avait rapportés de sa probité et de ses mœurs ; il chargeait les portraits de ses adversaires les moines, et ne dissimulait pas qu’il voyait plus de danger pour les lettres dans le triomphe des moines que dans celui de Luther. À ceux qui se montraient inquiets des atteintes portées à l’unité catholique, il prodiguait les professions de foi