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ÉRASME.


Érasme était à Louvain aux prises avec tous les théologiens de cette ville, quand la lettre de Luther lui fut apportée. Il y répondit avec une parfaite sincérité. Il avoue à Luther qu’il a du goût pour ses écrits ; mais il se défend du reproche que lui font les théologiens d’y avoir pris part, ce qui est une manière indirecte et délicate de déclarer qu’il n’en approuve pas tous les points. Sous la forme de conseils généraux adressés à tous les partisans de la réforme, il parle de précautions à prendre, d’hommes et de choses à ménager, de tolérance, d’esprit de charité, toutes recommandations qui allaient particulièrement à Luther, lequel y avait déjà manqué en plus d’une circonstance. Du reste, la lettre d’Érasme est pleine de grace, de raison et d’esprit. J’en rendrai mal toutes les délicatesses. La latinité en est simple, naturelle ; ce n’est point un langage d’érudition ; Érasme pensait et sentait en latin.


« Très cher frère en Jésus-Christ, ta lettre m’a été extrêmement agréable, à cause de la finesse de pensée qui s’y montre et de l’esprit vraiment chrétien qui y respire. Je ne saurais trouver d’expression pour te dire quelles tragédies ont excitées ici tes écrits : on ne peut ôter de la tête des gens ce soupçon si faux que tes élucubrations ont été écrites avec mon aide, et que je suis, comme ils disent, le porte-étendard de cette[1] faction. Quelques-uns y voyaient une bonne occasion d’étouffer les belles-lettres, qu’ils haïssent à mort, comme devant faire ombrage à la majesté de la théologie, qu’ils estiment la plupart plus que le Christ ; ils pensaient aussi à m’étouffer, moi qu’ils regardent comme de quelque poids dans la résurrection des études. Tout s’est passé en clameurs, en folles témérités, en calomnies, en mensonges, tels que si je n’eusse été présent et patient tout à la fois, je n’aurais pu croire sur la foi de personne que les théologiens fussent gens si fous.

« J’avoue que le germe de cette nouvelle contagion, sorti de quelques-uns, a fait tant de progrès, qu’une grande partie de cette académie, qui n’est pas peu fréquentée, en est devenue furieuse en peu de temps. J’ai juré que tu m’étais inconnu et que je n’avais pas encore lu tes livres[2] ;

  1. Il ne dit pas : de ta faction.
  2. Ceci était un petit mensonge. Érasme avait lu et dû lire avidement les pamphlets de Luther. Comment celui-ci aurait-il su qu’Érasme avait agréé ses bagatelles ?