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bonne foi, comme nous le sommes, on doit s’entendre à demi-mot. — M. Spada vient de m’offrir pour vous, dit-il en turc à son maître le remboursement de votre créance de cette année ; le jour où vous aurez besoin d’argent, il le tiendra à votre disposition. — C’est bien, répondit Abul, dis à cet honnête homme que je n’en ai pas besoin pour le moment, et que mon argent est plus en sûreté dans ses mains que sur mes navires. La foi d’un homme vertueux est un roc en terre ferme, les flots de la mer sont comme la parole d’un larron. — Mon maître m’accorde la permission de conclure cette affaire avec vous de la manière la plus loyale et la plus avantageuse aux deux parties, dit Timothée à M. Spada ; nous en parlerons donc dans le plus grand détail demain, et si vous voulez que nous allions ensemble examiner la marchandise dans le port, j’irai vous prendre de bonne heure. — Dieu soit loué ! s’écria M. Spada, et que dans sa justice il daigne convertir à la vraie foi l’ame de ce noble musulman ! — Après cette exclamation ils se séparèrent, et M. Spada reconduisit sa fille jusque dans sa chambre, où il l’embrassa avec tendresse, lui demandant pardon dans son cœur de s’être servi de sa passion comme d’un enjeu ; puis il se mit en devoir d’examiner ses comptes de la journée. Mais il ne fut pas long-temps tranquille, car Mme Loredana vint le trouver avec un coffre à la main. C’étaient quelques hardes qu’elle venait de préparer pour sa fille, et elle exigeait que son mari la conduisît chez la princesse le lendemain dès le point du jour. M. Spada n’était plus aussi pressé d’éloigner Mattea : il tâcha d’éluder ces sommations, mais voyant qu’elle était décidée à la conduire elle-même dans un couvent, s’il hésitait à l’emmener, il fut forcé de lui avouer que la réussite de son affaire dépendait seulement de quelques jours de plus de la présence de Mattea dans la boutique. Cette nouvelle irrita beaucoup la Loredana, mais ce fut bien pis lorsqu’ayant fait subir un interrogatoire implacable à son époux, elle lui fit confesser qu’au lieu d’aller chez la princesse dans la soirée, il avait parlé au musulman dans un café, en présence de Mattea. Elle devina les circonstances aggravantes que celait encore M. Spada, et les lui ayant arrachées par la ruse, elle entra dans une juste colère contre lui, et l’accabla d’injures violentes, mais trop méritées.

Au milieu de cette querelle, Mattea, à demi déshabillée, entra, et