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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

tune, ou dont tu aies trouvé la foi douteuse ? — Folle conjecture ! Cette vierge n’est point femme encore, c’est la lune nouvelle qui brille au ciel jeune et sereine ; elle est sur le seuil qui mène hors de l’enfance, elle ne l’a point franchi. L’aveugle Dieu n’a encore percé son cœur d’aucun de ses traits ; son imagination est libre ; vous ne trouverez point chez elle la source du sentiment, à moins de la chercher ailleurs.

« De sa main droite qui est croisée sur le poignet de son bras gauche appuyé sur son genou, elle tient (mais à peine, car sa préoccupation ne lui permet pas d’étreindre) un bluet et quelques pâles épis de blé jaune, ceux même qui sont nés avec lui et l’ont abrité jusqu’à ce qu’on les ait cueillis ensemble. Ce bluet que le laborieux cultivateur appelle une mauvaise herbe, mais que Cérès est glorieuse d’ajouter à sa guirlande ; ce bluet qui se joue entre ses doigts insoucians, elle le sait (son père le lui a dit), il était la fleur favorite de sa mère lorsque la joyeuse aurore de la jeunesse brillait pour elle ; et l’orpheline a son aurore aussi, — une aurore seulement moins joyeuse et moins brillante. — L’orpheline, assise là, solitaire et recueillie, aime aussi cette fleur pour l’amour de sa mère perdue. Non (j’en suis sûr), cet air grave et réfléchi qui respire sur ses traits et dans toute sa personne n’a point une cause moins sacrée.

« Des mots en ont dit parfois plus que n’en aurait pu dire le pinceau, et parfois plus qu’il ne fallait ; mais l’art leur pardonne d’intervenir, — l’art divin qui crée et éternise à la fois, en dépit de la mort et du temps, les merveilles de ses œuvres.

« Étranges contrastes en ce monde où nous sommes ! Cette contenance, ce regard d’amour filial tourné vers le passé sans s’être détaché du présent, à quoi n’a-t-il pas tenu que toute cette sainte expression ne s’effaçât du modèle vivant de ce beau portrait au souffle léger du moindre innocent caprice ! Et jamais peut-être elle ne se fut reproduite sur ces traits et dans ce maintien si pur, si harmonieusement exquis ! — La voici enchâssée là pour les siècles ! — Oh ! l’art ne participe-t-il donc pas de Dieu ? N’est-il pas un humble rameau de l’arbre divin, acharné qu’il est si visiblement à la poursuite de l’immortalité, et s’élevant vers elle tout tremblant d’espérance ? D’un bout de l’Europe à l’autre, des cimes de Gibraltar aux plaines de Sibérie, des milliers de voix, chacune en sa langue, seraient l’écho de cette pensée. Elle serait surtout celle d’un moine qui s’est fait le serviteur de Dieu dans le magnifique couvent bâti jadis pour sanctifier le palais de l’Escurial. Le digne religieux avait mené par son monastère, de cellule en cellule et