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couronné de pampres, traîné par des panthères, ayant à sa suite des troupes de satyres, les hommes et les hôtes sauvages qu’il a domptés ? — Et rien qu’à l’entendre, on voit la Rencontre de Bacchus et d’Arianne du Titien, tant sa peinture est classique, tant son style est ardent et coloré ! Milton est sa grande idole. Parfois il ose se comparer lui-même à son géant ; et, en vérité, souvent ses sonnets ont le même esprit prophétique, la même élévation sacrée que ceux de l’Homère anglais. Chaucer est encore un des poètes selon son cœur. Il a même pris la peine de traduire en style moderne quelques-uns des Contes de Canterbury. Ceux qui considèrent Wordsworth comme un écrivain puéril s’expliqueront difficilement sa prédilection marquée pour Dante et Michel-Ange. Nous sommes porté à croire qu’il sympathise peu cordialement avec Shakspeare. Comment en serait-il autrement ? Shakspeare est l’homme du monde qui ait eu dans le génie le moins d’égotisme. Au fond, Wordsworth ne prise guère la variété ni le développement des compositions dramatiques. Il ne se soucie nullement, dit-il, de ces dialogues entre Lucius et Caïus. Pourtant il fit aussi sa tragédie quand il était jeune, et nous en avons entendu citer les vers suivans, pleins d’énergie, que récitait un des personnages, poursuivi par le remords d’un grand crime :


Action is momentary,
The motion of a muscle this way or that ;
Suffering is long, obscure, and infinite !


« L’action n’est que d’un moment. C’est le mouvement d’un muscle çà ou là ; — la souffrance est longue, obscure, infinie ! »

Mais nous n’avons point à juger cet ouvrage inédit, qui ne se produisit jamais sur la scène. Notre critique a contre Gray une antipathie décidée. Il affectionne au contraire singulièrement Thomson et Collins. Il vous mortifie presque par son impitoyable proscription de Pope et de Dryden. Ces vieux maîtres, tenus jadis pour excellens et parfaits, n’ont, à son sens, ni valeur ni portée. Mais rien n’est amusant comme la colère que lui cause le bavardage insignifiant de notre poésie moderne. À propos de la Vanité des désirs humains de Jonhson, qui commence ainsi :


Let observation with extensive view
Survey mankind from China to Peru.


Il n’y a là, pense-t-il, que des mots ; c’est toujours la même idée trois fois répétée sous le déguisement maladroit de la phraséologie. C’est