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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

a compris toute la dignité des mouvemens primitifs de l’ame humaine, il a greffé toute sa profonde pensée sur la pensée rustique du laboureur et du berger. Debout au milieu de son magnifique amphithéâtre de montagnes, il s’est baissé pour voir de plus près la pâquerette sous ses pieds, ou bien il a cueilli au buisson une branche d’aubépine ; mais lors même qu’il se courbe ainsi, on sent que son ame est pleine de la solennité du spectacle qui l’entoure. Le haut rocher lève sa tête dans la hauteur de l’esprit du poète ; on entend gronder dans son vers le bruit de la cataracte ; lisez ses pages sombres et mystérieuses, vous croyez voir les brouillards suspendus sur les vallons d’Helvellyn, et le Skiddow fourchu qui se dresse derrière et perce la brume. Il est peu question de montagnes dans la poésie de Wordsworth ; mais on sent, à ne s’y point méprendre, qu’il a écrit dans un pays montagneux, tant, en son style, tout est nu, simple, puissant et profond !

Le caractère des dernières productions philosophiques de Wordsworth est quelque peu différent ; il s’y est par momens départi de ses premiers principes. Elles sont souvent classiques et simples. Les sujets qu’il y traite ont de la dignité sans affectation. L’élégance du style est sans manière ; on dirait qu’elles ont été composées non pas dans une chaumière à Grasmere, mais sous les ombrages majestueux et inspirateurs de Cole-Orton. Lisez ses vers sur un paysage de Claude Lorrain et le poème exquis de Laodamia, ils vous exprimeront mieux notre pensée. Dans le dernier de ses morceaux surtout, où respire tout le parfum pur des plus pures compositions antiques, — nul n’a jamais peint plus dignement la gravité, la douceur, la force, la langueur et la beauté de la mort.


Calm contemplation and majestic pains.


Ce n’est point le faste des couleurs, c’est le fini du travail, qui fait l’éclat et la perfection de ce morceau ; c’est moins un tableau qu’une statue. Le tissu de la pensée a là toute la morbidesse et toute la solidité du marbre. C’est un poème qu’on pourrait lire tout haut dans l’Élysée, et les esprits des héros et des sages se rassembleraient pour l’écouter.

La philosophie poétique de M. Wordsworth n’a pas le regard enflammé de celle de Byron, ni le même tumulte dans les veines ; son œil s’abaisse plus calme et plus perçant sur notre destinée mortelle. L’impression qu’elle laisse est moins vive, elle est plus douce et plus durable ; et, nous l’avouons (peut-être est-ce manque de goût ou bizarre façon de sentir), il y a tel vers, tel morceau de notre auteur,