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LA QUENOUILLE DE BARBERINE.

tu pas de m’arracher un secret que j’avais résolu de cacher ? Et que t’a-t-il fallu pour cela ? Un sourire.

BARBERINE.

Et un baiser.

ULRIC.

Ah ! que tes baisers m’appartiennent ! qu’ils soient comme une source fraîche, et que tu me la verses goutte à goutte jusqu’à la mort ! Mais, hélas ! Barberine, ton sourire ne m’appartient pas ; ta beauté est à tous les yeux, au premier passant qui lève la tête quand tu te penches à ta croisée.

BARBERINE.

Tu es jaloux ?

ULRIC.

Non, mon amour, mais vous êtes belle ; que feras-tu si je m’en vais ? Tous les seigneurs des environs ne vont-ils pas rôder par les chemins ? Et moi, qui m’en irai si loin courir après une ombre, ne perdrai-je pas le sommeil ? Ah ! Barberine, loin des yeux, loin du cœur.

BARBERINE.

Écoute ; Dieu m’est témoin que je me contenterais toute ma vie de ce vieux château et du peu de terres que nous avons, s’il te plaisait d’y vivre avec moi. Je me lève, je vais à l’office, à la basse-cour, je prépare ton repas, je t’accompagne à l’église, je te lis une page, je couds une aiguillée, et je m’endors contente sur ton cœur.

ULRIC.

Ange que tu es !

BARBERINE.

Je suis un ange, mais un ange-femme ; c’est-à-dire que si j’avais une paire de chevaux, nous irions avec à la messe. Je ne serais pas fâchée non plus que mon bonnet fût doré, que ma jupe fût moins courte, et que cela fît enrager les voisins. Je t’assure que rien ne nous rend légères, nous autres, comme une douzaine d’aunes de velours qui nous traînent derrière les pieds.

ULRIC.

Eh bien donc ?

BARBERINE.

Eh bien donc ! le roi Mathias ne peut manquer de te bien recevoir, ni toi de faire fortune à la cour. Je te conseille d’y aller. Si je ne peux pas y aller aussi, comme je t’ai tendu tout à l’heure mes lèvres pour te demander le secret de ton cœur, ainsi, Ulric, je te tends la main, et je te jure que je te serai fidèle.

ULRIC.

Voici la mienne.