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LE PARLEMENT ANGLAIS.

qu’avait excités son discours, sir Robert Peel s’élança vers le bureau et prit la parole.

L’ex-premier lord de la trésorerie est de taille moyenne : sa tournure serait élégante, n’était l’embonpoint qui commence à l’alourdir ; sa mise est soignée sans tomber dans le dandisme ; son air n’accuse pas non plus l’approche de la cinquantaine ; ses traits réguliers ont une certaine expression de causticité dédaigneuse ; il semble trop viser aux grandes manières ; la distinction naturelle a plus d’aisance et d’abandon.

Au surplus, l’affectation étudiée est bien aussi le caractère dominant de son talent oratoire. Gestes et langage, tout trahit en lui la recherche prétentieuse. Il a plus qu’il ne faut du comédien à un orateur. C’est une fatigue de le voir s’agiter, se démener, tourner incessamment sur lui-même. Je n’aime pas qu’un homme d’état sache tant de poses gracieuses. C’est fort bien peut-être près d’une cheminée, en famille, de croiser une jambe sur l’autre et de remuer ses guinées au fond des poches de son pantalon. Que vous caressiez en un salon les revers de votre habit, ou que vous rejetiez en arrière les basques de votre redingote, votre contenance y gagne souvent ; mais en public, et là surtout où se discutent les lois d’une nation, ce manége d’innocente coquetterie ne sied point. Sir Robert Peel abuse donc réellement de ses mains et de ses bras ; il fait trop la roue. On perd presque sa parole dans le tourbillonnement continu de sa personne.

D’ailleurs, je le reconnais, son élocution est vive, facile, spirituelle ; il y a plaisir à l’entendre. Sa rhétorique, appliquée aux affaires, me plaît fort. Il a tout ce que peut donner l’art de dire ; mais la chaleur qui l’anime est factice. La vraie, celle qui se communique, lui manque. Il n’a pas de conviction. C’est bien là l’ambitieux tory déguisé qui, pour ressaisir les rênes d’or du gouvernement, s’est hypocritement affublé d’un manteau de réformiste, et qui passerait aux radicaux avec armes et bagages, s’il avait chance de remonter par eux au pouvoir qu’il convoite, et d’y rester.

Tout en acceptant sous d’amples réserves le principe du bill, sir Robert Peel avait renvoyé, en réponse aux insinuations amères de lord John Russel, certaines plaisanteries d’assez bon aloi qui avaient fort diverti l’assemblée.

Le ministre répliqua en quelques mots polis et fermes. La sérénité du noble lord est inexpugnable. Il est aussi parfaitement calme à la défense qu’à l’attaque. Je considère ce tempérament politique comme le plus souhaitable pour un homme d’état militant. Un pareil flegme déconcerte la furie des assaillans. On n’est jamais entamé quand on est si tranquille au combat.