Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/296

Cette page a été validée par deux contributeurs.
288
REVUE DES DEUX MONDES.

lettres et des syllabes du discours, et par l’accord du nom et du verbe, de l’adjectif et du substantif. Écoutez ce raisonnement d’un de leurs casuistes : « Toute l’explication du mystère de la Trinité est dans le mot latin Jesus, lequel n’a que trois cas, le nominatif, l’accusatif, et l’ablatif, premier symbole manifeste de la Trinité ; en outre le premier de ces cas se terminant par S, le second par M et le troisième par U, qui peut douter que ces lettres ne signifient Summus, Medius, Ultimus, le premier, le dernier, et celui qui est entre les deux, c’est à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? » Quant aux dialecticiens, voici quelques-unes de leurs thèses : — « Par quel moyen le monde a-t-il été fait et ordonné ? — Par quels canaux le péché originel s’est-il répandu sur la postérité d’Adam ? — Par quelle manière, dans quelle étendue, en combien de temps le Christ a-t-il été formé dans le sein de la Vierge ? — combien compte-t-on de filiations en Jésus-Christ ? — Cette proposition est-elle possible, que Dieu le Père hait son fils ? » Quels titres les moines invoqueront-ils auprès de Jésus-Christ, autour de la rémunération éternelle ? « L’un montrera, dit Érasme, sa panse tendue de toutes sortes de poissons ; l’autre versera cent boisseaux de psaumes ; celui-ci comptera ses mille jeûnes, interrompus par des repas où il a manqué de rompre son ventre ; celui-là présentera un tas de cérémonies, de quoi remplir sept vaisseaux de charge. Un quatrième se vantera de ses soixante années passées sans avoir touché d’argent, si ce n’est avec ses doigts protégés par un double gant, pour être fidèle à la lettre de son institution ; un autre étalera son sale capuchon, si usé et si gras, qu’un matelot dédaignerait de s’en couvrir ; un autre, les onze lustres qu’il a vécu cloué au même lieu, comme une éponge ; un autre, sa voix enrouée à toujours chanter, ou la léthargie qu’il a gagnée dans la solitude, ou sa langue engourdie par un vœu de silence éternel[1]. »

Les idées d’Érasme, ses penchans, ses mœurs, son rôle littéraire et religieux, sa vie toute entière, devaient en faire l’ennemi déclaré des moines. N’ayant aucun de leurs vices, et méprisant le peu de vertu oisive que pouvaient avoir les simples parmi eux,

  1. Μωρίας ἐγϰώμιον (Môrias egkômion), éloge de la folie.