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au couvent, il fallait se lever dans la nuit, pour les offices nocturnes, dont on l’avait exempté novice. Ses nuits se passaient à se rendormir. Le pauvre Érasme recommençait à soupirer tout haut pour la liberté. Mais c’était à qui lui donnerait d’horribles scrupules. — « Ruses de Satan, lui disait l’un, pour enlever un serviteur à Jésus-Christ. — J’ai eu les mêmes tentations, lui disait l’autre ; mais depuis que je les ai surmontées, je suis comme en paradis. — Il y a danger de mort, lui insinuait un troisième, à quitter l’habit ; on en a vu qui, pour cette offense envers saint Augustin, ont été frappés d’une maladie incurable, foudroyés par le tonnerre, ou qui sont morts de la morsure d’une vipère ; le moindre des maux qu’on risque, ajoutait-il, c’est l’infamie qui s’attache à l’apostat. » Le jeune homme craignait plus la honte que la mort : cette dernière raison triompha de ses répugnances, et comme il s’était laissé mettre l’habit, il se laissa vêtir du capuchon. Se regardant dès-lors comme un prisonnier, il chercha des consolations dans l’étude ; mais les lettres étant suspectes au couvent, il fallait étudier en cachette, là où il était permis de s’enivrer publiquement. Un évènement inespéré vint le tirer de sa prison, et le rendre à la vie publique, éclatante, fiévreuse, qui l’attendait au dehors. Je dirai bientôt quel fut cet évènement.

On sait quelle est l’influence des premières impressions sur le reste de la vie. Cette intrusion violente d’Érasme dans les ordres religieux en fit un ennemi prudent, mais d’autant plus redoutable, des vœux monastiques et des pratiques odieuses qu’on employait pour les arracher aux personnes faibles. Ménageant les choses, il n’en frappa que plus fort sur les hommes ; il poursuivit les moines de ses railleries, les peignant invariablement sous les traits d’ivrognes, d’illettrés et de libertins, opposant sans cesse le scandale de leurs orgies clandestines, de leur haine sauvage pour les lettres, de leur hypocrisie, aux vertus de leurs fondateurs, et en même temps qu’il parlait avec révérence du principe, attaquant sous toutes les formes l’application. Certes il se souvenait de ses jeûnes au couvent et de ses défaillances de cœur, quand il se moquait de l’abstinence des viandes, et qu’il accablait les mangeurs et les apprêteurs de poisson de malédictions si