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point un des moindres événemens du xvie siècle. Les honnêtes gens prirent le parti d’Érasme, lequel avait su se faire un grand nom malgré la faute de sa mère, et rester honnête homme malgré l’influence ordinairement corruptrice d’une naissance irrégulière. Jules Scaliger se donna le ridicule de dire d’épouvantables grossièretés dans un latin barbare ; et malgré l’origine princière dont il se vantait, il est resté beaucoup plus étonnant par sa vanité diabolique, que par sa confuse érudition et ses laborieux paradoxes littéraires.

ii.
Comment Érasme fut fait homme d’église.

Érasme avait un frère, dont il parle en certains endroits de ses livres, et seulement pour s’en plaindre. Tous deux héritèrent de leur père de quoi suffire à leurs études. Des parens avides avaient rogné leur petit patrimoine, et, à peine le père mort, avaient mis la main sur l’argent. Ils ne laissèrent que ce qui ne peut pas se mettre en poche, à savoir quelque peu de biens-fonds, et des créances. Mais les tuteurs firent ce que n’avaient pas pu faire les parens ; ils dissipèrent par leur mauvaise administration et leur infidélité le patrimoine des deux orphelins, et n’imaginèrent rien de mieux, pour se dispenser de rendre des comptes à leurs pupilles, que d’en faire des moines. Celui qui s’y employa le plus activement, fut un certain Guardian, l’un d’eux, homme d’un sourcil austère, d’une grande réputation de piété, un saint dans l’opinion du monde, parce qu’il n’était ni joueur, ni libertin, ni fastueux, ni adonné au vin ; du reste parfait égoïste ; au dehors, se mettant en règle avec les apparences, et au dedans vivant pour lui, et à sa guise, homme très peu porté pour les lettres, quoique anciennement maître d’école. Un jour qu’Érasme enfant lui avait écrit une lettre un peu travaillée : — « Ne m’en écrivez pas d’autres de ce genre, lui dit sévèrement Guardian, à moins que d’y joindre un commentaire. » C’était un de ces serviteurs de Dieu qui pensaient lui sacrifier une victime agréable en enrôlant quelque adolescent