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émancipatrice. Le régime actuel est destiné à s’affaiblir selon que la vie publique entrera dans nos mœurs, et qu’il se formera parmi nous des croyances et des habitudes communes ; il se modifiera graduellement par l’abaissement inévitable de l’éducation supérieure et le développement progressif de l’instruction primaire, par les changemens que l’avenir prépare dans la condition matérielle des peuples, et dans leurs modes plus rapides de communication, par toutes ces voies latentes qui sont comme les organes secrets de la vie et de la végétation des sociétés humaines. Mais en n’anticipant point sur un avenir qui n’appartient encore qu’à Dieu, force est de reconnaître qu’en un pays où il n’y a pas plus d’unité dans les mœurs que dans les idées, où les traditions historiques sont sans puissance et les doctrines politiques sans sanction, un gouvernement bourgeois est la forme normale de la société. Il y a, en effet, cette différence entre une révolution démocratique et une révolution bourgeoise, que celle-ci s’opère par un simple déplacement dans la balance des intérêts, tandis que celle-là présuppose des convictions générales, descendues dans toutes les classes de la nation, et par lesquelles on la saisit et on la dirige.

On peut réduire à trois les idées servant de pivot à la société française depuis un demi-siècle :

1o  La capacité personnelle devenant la seule mesure de l’importance sociale. C’est l’extinction de toute aristocratie héréditairement constituée.

2o  La société politique proclamant son incompétence quant aux idées dogmatiques, naguère étroitement unies avec elle, afin que le scepticisme, contagieux de sa nature, ne passe pas de l’ordre politique à l’ordre moral. C’est la séparation de l’église et de l’état.

3o  Le développement donné à toutes les facultés productives, toutes les forces individuelles et locales agissant sous une impulsion générale, afin d’obtenir des résultats plus prompts et plus énergiques. C’est l’administration centralisée.

Or, ces idées, qui forment aujourd’hui comme le droit commun de la France, sont en train de conquérir l’Europe et de passer dans ses lois ; elles cheminent par la paix tout aussi vite que par la guerre, et se revêtent plus manifestement chaque jour de ce caractère éminent d’universalité qui appartient à toutes les grandes formes sociales.

Ce travail s’avance incessamment dans les lieux même où l’on croit opposer de plus fortes digues aux idées que le siècle charrie dans son cours. L’édifice antique y croule pan à pan sous la bourrasque, ou