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lutte contre les doctrines que contre les personnes. Peu de gens avaient la perception distincte de cette vérité ; il y eut à cet égard, dans ce qu’on appelle la comédie de quinze ans, moins de mauvaise foi qu’on ne suppose ; on se croyait appelé à faire mieux, ou tout au moins à faire autrement que ceux dont on aspirait à recueillir les dépouilles.

Malheureusement, chaque société a son mode de gouvernement, et n’en a qu’un seul : si, après avoir changé le personnel du pouvoir, on prétend en altérer profondément les principes, il faut qu’une révolution sociale se ente sur la révolution politique, et c’était à cette conséquence que résistait l’opinion dominante, et qu’elle résistera long-temps encore.

La révolution de 1830 n’a donc pas changé les principes du gouvernement comme celle de 89. Mais, à un bien plus haut degré que celle-ci, elle en a renouvelé le personnel. La bourgeoisie est montée à la place que cinquante ans de travaux lui ont faite ; les fils de ceux qui jurèrent la commune et sonnèrent le beffroi de leur hôtel-de-ville crénelé contre les hauts barons, au retour d’outre-mer, se sont sentis forts de leur nombre, de leurs richesses, et d’une éducation imparfaite encore, mais que la pratique des affaires doit compléter. Ils se sont crus assez sûrs d’eux-mêmes pour maintenir dans les bornes d’une révolution bourgeoise un mouvement amené par les vues les moins concordantes, et dont il n’appartenait qu’à l’avenir de fixer le véritable caractère.

Parmi les niaiseries qu’exploite la presse, on doit mettre au premier rang les dissertations sur le type pur et primitif de la révolution de juillet. Si des hommes opposés d’antécédens, d’intérêts et d’espérances, combattirent aux trois journées sous le même drapeau, c’est qu’il fallait élever un étendard contre celui du pouvoir auquel on résistait, et que, d’ailleurs, le drapeau tricolore enveloppe également de ses plis les souvenirs de 89, ceux de 93 et ceux de l’empire. Si l’on proclama tout d’une voix la souveraineté populaire, ce mot ne signifia jamais, pour la classe moyenne, que sa propre souveraineté ; or, les mots sont comme les contrats, ils doivent s’interpréter de bonne foi dans le sens de celui qui les emploie, et c’est surtout dans la langue politique qu’ils sont d’une élastique souplesse.

Ainsi s’éclaire d’un jour nouveau l’histoire de la restauration, qui eut moins à lutter contre une école que contre une caste, qui, pour se maintenir, aurait eu moins à changer ses idées que ses instrumens. Ainsi se révèle le véritable génie du gouvernement actuel, qui tire sa force de l’élargissement donné à sa base, et dont la véritable mission