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phistes surtout, comme si la couronne de France pouvait s’escamoter par un tour de gobelet. Au lieu de profiter des inquiétudes et des dangers inhérens à une épreuve douteuse encore, pour rallier à soi les intérêts émus de la bourgeoisie pacifique, ils sautèrent à pieds joints des utopies aristocratiques de la veille, à celles de la démocratie la plus exaltée, glanant sur le champ de bataille les tronçons d’épées brisées dans la lutte où venait de succomber l’antique monarchie.

Embarrassé qu’on était par des doctrines qui ne peuvent être scindées sans que l’édifice entier ne s’ébranle, on en évinça gratuitement tout ce qui se rapporte aux institutions accessoires, supprimant l’hérédité partout, en la conservant seulement pour le trône, comme ces mariniers qui, dans la tempête, jettent à la mer tout ce qui peut les empêcher de gagner le port.

Plus de noblesse, plus de pairie, plus d’église constituée ; une vaste et large démocratie avec les états généraux du xixe siècle, et le suffrage universel du xviiie, avec la paix européenne et la limite du Rhin, avec les principes et les intérêts les plus contraires qui viendront se fondre miraculeusement dans la constitution nationale : voilà ce qu’on promit fort sérieusement à la France, pendant que d’autres gourmandaient les rois sur leur inertie en face de la révolution triomphante, ou aiguisaient des épigrammes contre les bals bourgeois des nouvelles Tuileries : distraction de château dont il convenait à une presse royaliste d’user plus sobrement, car devait-elle oublier que c’est surtout par les mœurs que la monarchie existe en France, et que l’on compromet son avenir en lui en faisant perdre les habitudes ?

Des idées aussi décousues devaient rendre impossible tout ensemble dans la conduite politique : de là des volte-face rapides, des contradictions monstrueuses dans l’action, et jusque dans les principes. La légitimité flottait incertaine de l’aïeul au petit-fils ; le serment était proscrit comme une iniquité la veille du jour où il était exigé comme un devoir ; si le matin on tendait la main à la république, le soir on faisait des coquetteries à la garde nationale ; on s’essayait, d’un côté, à glisser une restauration, comme un ballot de contrebande, entre la réforme électorale et le suffrage universel ; l’on proclamait, de l’autre, pour ne jamais se trouver en défaut, que toutes les victoires du pouvoir conduiraient infailliblement à ce résultat : c’est ainsi que par un miracle de foi et d’espérance, l’on se maintenait dans une perpétuelle extase, rendant grâce chaque soir des événemens heureux qui ne pouvaient manquer de s’opérer le lendemain.

Il est inutile de dire qu’un parti contraint de subir, sans protesta-