Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

toujours croissante. Malgré l’exemple des républiques anciennes, nous ne croyons pas la démocratie favorable aux arts : les républiques anciennes n’étaient que le gouvernement de quelques nobles qui se nommaient citoyens, et qui avaient pour bêtes de somme, pour instrumens et pour prolétaires, l’armée obéissante de leurs esclaves.


Donnez-moi une société passionnée, une grande croyance, d’autres intérêts que les intérêts matériels, des ames facilement ou profondément émues. Donnez-moi de vieilles traditions, des superstitions populaires ; de ces matériaux brûlans vous verrez jaillir une poésie, comme la lave sort du cratère, une poésie bouillonnante et resplendissante comme celle de l’Espagne, une poésie molle et voluptueuse comme celle de l’Italie. La sève des passions fait seule éclore les belles fleurs de la poésie. L’Angleterre n’était pas seulement un pays de commerce, mais un pays d’orgueil aventureux, de factions acharnées et de passions profondes. Le bourreau y jouait le rôle d’une Providence fabuleuse ; l’aristocratie y était puissante et la roture y était fière. Les injustes guerres que la Grande-Bretagne avait soutenues, ses conquêtes sur la France, ses rapports avec l’Espagne, ses essais de domination sur la mer, lui constituaient un passé héroïque et plein d’émotions. Cette civilisation avait marché entre les bûchers et les échafauds, à travers les champs de bataille couverts de cadavres. La pauvre espèce humaine achète ainsi sa poésie ; ce sont nos larmes, c’est notre sang qui la font naître ; elle ne retombe en rosée céleste qu’après avoir été nourrie de ces émanations douloureuses. Que de fureurs théologiques et guerrières n’a-t-il pas fallu pour donner à l’Europe sa poésie ? Que de guerres intestines et de renversemens de trônes, que d’iniquités éclatantes ont valu à la Grèce ancienne son génie ! Hélas ! il faut bien le dire, sans passion, l’art n’existe pas ; et la passion n’est que le développement exagéré des facultés humaines ; la passion est excessive, et elle touche au vice par l’excès ; presque tous les grands hommes, intelligences à la fois passionnées et réfléchies, ont dû leurs souffrances, moins encore à la société qui les environnait, qu’à leurs fautes personnelles. Dante a été vindicatif jusqu’à la rage ; Tasse a été tendre jusqu’à la faiblesse ; la délicate