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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

la loi dans son île, veut renouveler l’orgie et fêter l’anniversaire de cette nuit de massacre. On boit beaucoup ; on parle du cheval blanc, de sa navigation périlleuse et de son hennissement infernal. Le boucanier est ivre.


— « Mais là-bas, dit le poète, sur la mer, qu’aperçoit-il ? D’abord une étincelle, une étoile, une flamme rouge qui grossit et avance, qui ressemble bientôt à la lune sanglante dans le ciel désert, puis à la comète échevelée, puis à un navire en flammes. Il vient, il marche, ce vaisseau embrasé, projetant ses vagues sur les promontoires et sur les baies, sur les montagnes et sur les collines. Il va, il va toujours ; et du sein de l’incendie furieux, Lee voit sortir une tête, la tête du cheval blanc ; bientôt c’est le cheval tout entier qui se montre, qui gagne le rivage et qui approche. De ses flancs diaphanes sort une lueur sépulcrale. Il brille en galopant vers la porte de Mathieu Lee ; le même hennissement terrible résonne ; la face de Lee a blanchi, le verre tombe de ses mains, ses lèvres sont immobiles et pâles.

« Je ne puis rester là, s’écrie-t-il. Il faut que je parte ; je le sens, il le faut. Le cheval est à la porte ; l’entendez-vous ? Il m’appelle. »


Le poète, qui abandonne l’imitation de Wordsworth et de Byron pour s’attacher à celle de Burger, peint fort bien la course rapide du cheval de flamme et de Mathieu ; le cheval-fantôme s’arrête sur un roc, et laisse le boucanier contempler d’un œil épouvanté l’incendie du vaisseau. Puis le cheval-fantôme disparaît ; la folie s’empare du meurtrier, qui, naguère tout puissant dans l’île, devient le jouet des petits enfans, et meurt sous le poids du remords.

On voit ce qu’il y a de forcé, d’étrange et de commun dans la donnée du poème, et combien d’idées étrangères Dana s’est vu obligé de mettre à contribution. C’est la fuite de Lénore, c’est le coursier des morts va vite ; — c’est la vengeance divine et le remords incarné du mariner. Je ne sais quelle puissance mélodramatique et de pure décoration l’emporte sur la profondeur, sur la beauté des détails ; et le lecteur, tout étonné qu’il soit, ne ressent pas cette vibration intérieure qui annonce que le poème est là.


Ainsi les Américains ont été, jusqu’ici, semblables aux mauvais