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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

Prentiss, Boyd, Clifton, Isaac Story, Allen Osborne, Spence, Braynard, etc., etc., une armée tout entière. En effet, voilà beaucoup de gens qui font des vers.

La plupart d’entre eux imitent surtout une femme-poète de second ordre, mistriss Hemans, poète agréable, écho sentimental et triste, remarquable par la tendresse et la pureté de son inspiration, mais plus morale qu’énergique, plus aimable que créatrice. L’accent timide et doux de mistriss Hemans s’accorde avec la moralité scrupuleuse des Américains modernes ; aussi ont-ils adopté avec empressement l’imitation de cette imitatrice. « J’ai lu les œuvres de trois ou quatre cents poètes américains, dit un rédacteur de la Revue américaine du Nord, et je n’en ai pas trouvé plus de trois ou quatre dignes d’estime. — A host of them… three or four good ones… And three or four hundred poor ones.» Parmi ces poor ones, on peut distinguer quelques écrivains qui ont de la pureté, quelquefois de la sensibilité : P. M. Wetmore, négociant de New-York et le Roscoe de sa ville natale ; Samuel Woodworth, qui a écrit des chansons populaires ; Jean Neal, avocat de Baltimore ; Jacques Nack, le sourd-muet ; Edouard Pinckney, officier de marine ; Braynard, éditeur d’un journal ; George Washington Doane, ministre de l’église épiscopale ; H. W. Longfellow, professeur ; N. P. Willis, attaché à la légation américaine de Paris ; Sprague, commis d’un banquier de Boston ; Jean Pierpont, prédicateur unitaire ; mistriss Lydia Sigourney, la seconde mistriss Hemans ; Rodman Drake, qui a essayé la poésie fantastique ; Fitz-Green Halleek, banquier fort riche, et qui se distingue par l’humour et la vivacité.

Mais en général tous ces poètes se ressemblent, l’individualité leur manque. On se rappelle, en les lisant, ce personnage comique de Shakspeare, Dogberry le recors, qui dit toujours que les mauvaises actions dont il est témoin « sont tolérables (il veut dire intolérables) et tout-à-fait fatigantes. » Pour nous servir de la locution de ce bon Dogberry, la médiocrité de tous ces poètes nous semble très tolérable, mais tout-à-fait fatigante. C’est une monotonie extrême, une langueur qui endort, une moralité narcotique.

Rarement l’ame du poète américain s’élève, s’échauffe, s’émeut, se répand au dehors : la sincérité de l’accent, la puissance de l’émotion, la profondeur de l’inspiration lui sont peu connues ;