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PORTRAITS DE ROME.

bords paisibles de la fontaine d’Égérie, et leur adressant de là ce couplet d’une malice assez inoffensive :


Son eau coule encor, mais les rois,
Que séduit une autre déesse,
Ne viennent plus chercher des lois
Où Numa puisait la sagesse.


On sent qu’il y a une grande crise sociale et comme un cataclysme politique entre ces insinuations sur les événemens du jour à propos des classiques souvenirs de Rome, et le sentiment qui a inspiré Rome souterraine à M. Didier. Nul Français n’a peut-être pénétré plus avant que lui au sein de la nature et des populations italiennes. Il a vécu long-temps avec les pâtres et les montagnards dans les forêts de la Calabre, et dans les steppes de la Maremme, parmi les buffles et les chevaux sauvages. Il a vécu long-temps à Rome, au milieu du peuple et des ruines. Puis, après 1830, sous l’impulsion de l’entraînement saint-simonien et de cet élan qui emportait tant d’âmes vers un avenir de régénération sans limite, il a voulu placer à Rome cette pensée de l’affranchissement de l’Italie, ce rêve de la grande république ausonienne qu’il avait surpris dans bien des cœurs ; il a creusé sous la Rome que l’on visite et que l’on connaît, une Rome inconnue, mystérieuse, souterraine ; il a ouvert les loges du carbonarisme et les catacombes de la liberté ; et au-dessus de ces tortueux abîmes dont il nous dévoilait les labyrinthes, il a donné pour théâtre à son action la Rome actuelle, dont il a dessiné la topographie en homme qui est pratique du pays, comme disent les Italiens. Je ne sais s’il y a assez de talent plastique chez M. Didier pour donner une idée de Rome à ceux qui ne la connaissent point ; mais nul ne rappelle avec plus d’exactitude à ceux qui la connaissent, le caractère particulier de ses différens quartiers, surtout l’aspect agreste et rustique des lieux abandonnés et des rues solitaires.

Il y a une autre inspiration, une inspiration déjà plus découragée, dans le Pianto de M. Barbier. M. Barbier écrivit la Curée dès le lendemain de la grande semaine, averti par un pressentiment et un instinct de poète de toutes les déceptions qui attendaient l’immense enthousiasme de cet admirable moment. Les Iambes suivirent