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PORTRAITS DE ROME.

Là-bas, les pins secouent doucement leurs têtes murmurantes : quoi ! c’est ainsi que tu viens vers nous ? est-ce donc là ta promesse ? Au lieu du jeune homme heureux de vivre, nous voyons ici le malade, le souffreteux, qui, sous ce ciel d’un bleu si pur, et sous la couronne de feuillage des arbres, et dans le parfum des myrtes, ne respire que la douleur. Tombez, chaînes pesantes, vous qui arrêtez chaque mouvement de vie ; laissez-moi libre, que j’embrasse avec transport toutes ces formes merveilleuses, ces amies d’autrefois !

« Mais le prisonnier n’a que des larmes qui coulent dans les ténèbres ; la voiture me reporte à la ville déjà dans l’ombre ; et, me reposant dans mon fauteuil de malade, las de vivre, c’est à peine si les doux entretiens, les feuilles légères, peuvent me distraire et me consoler. »

Mais peu à peu l’influence du climat se fait sentir ; sa santé s’améliore par l’exercice, et la gaieté se glisse dans son ame et dans sa poésie.

C’est à cette gaieté renaissante que nous devons de petites scènes de mœurs romaines, racontées par Tieck avec une vivacité et une grâce difficiles à conserver dans une traduction. Ceux qui ont été à Rome reconnaîtront son Mendiant. « Ne pourrai-je jamais échapper au bavard effronté, orateur mendiant, devant lequel je passe toujours en revenant au logis. Pauvre, il ne l’est point, et cependant je suis forcé de lui donner plus qu’aux nécessiteux. Prendrai-je cette autre rue ? Non, rougis de cette faiblesse ; il peut dorénavant haranguer, prier, supplier ; passe devant lui d’un pas ferme, le front haut, et que pas une pièce d’argent, pas une pièce de cuivre ne tombe de ta main en hommage à son éloquence. Déjà il m’a reconnu de loin ; il balance son grand chapeau à trois cornes, et le timbre sonore et plein de sa voix retentit : « Béni soit le noble seigneur qui tous les jours marche d’un pas plus léger à travers les rues célèbres de notre ville. Mes dévotes prières ont donc été utiles à ce seigneur incomparable. Comme il passait là devant moi, la première fois, malade, faible et gémissant !… Bientôt je le verrai marcher d’un pas vigoureux, sans bâton, en parfaite santé. Que suis-je, moi, misérable, moi, pauvre mutilé, obligé d’être là gisant dans la rue, pour que ce cher et excellent sei-