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PORTRAITS DE ROME.

Un philosophe catholique, poète aussi, mais poète plus sérieux, plus profond, que Moore, M. Ballanche, a laissé, comme lui, dans des Fragmens, la trace de son premier voyage à Rome. Les graves et mélancoliques paroles de ses adieux sont mieux appropriées à sa croyance. C’était en 1813, le moment était remarquable, Rome était sans pape. M. Ballanche fut frappé surtout « de la grande ombre du souverain pontificat, tout brillant de son absence même. » Le futur auteur d’Orphée, plein d’un sentiment dont l’analogie avec celui du Tasse est remarquable, disait : « Je me sépare sans peine de la ville des Brutus et des Césars. Pour elle, ce mot d’adieu sort de ma bouche sans émouvoir mon cœur. Il n’en est pas ainsi de celle où saint Pierre vint en voyageur, seul, mais accompagné de la force de Dieu. Ville de saint Pierre, je ne te dis point adieu. » En effet, il devait y revenir ; et c’est en présence des sept collines qu’il devait concevoir sa Rome mythique, type pour lui de la cité humaine, et reconstruire en esprit la ville primordiale d’Évandre et de Carmena. La présence de Rome a agi sur plusieurs historiens célèbres. Niebuhr a changé son système, de la première édition à la seconde, parce qu’il avait vu Rome dans l’intervalle ; et l’on sait que quelques moines, chantant les litanies sur l’emplacement du temple de Jupiter Capitolin, inspirèrent à Gibbon la pensée de son Histoire de la décadence de l’Empire romain ; toute son histoire se ressent de cette première impression. Il est pour les prêtres de Jupiter contre les moines ; il est pour le Capitole contre le Calvaire. En allant plus au fond de l’histoire morale du genre humain, on eût pu, orthodoxie à part, tirer du même contraste une conclusion toute contraire. Non, Gibbon, ce n’était pas un malheur pour le monde, mais un progrès, que de voir les serviteurs d’une religion de pureté et d’amour remplacer les ministres d’une religion de sang et de volupté. Ami de l’humanité, vous deviez vous réjouir de ce qui avait amené un tel changement. Il fallait comprendre que le parti du christianisme était le parti du genre humain.

De toutes les effusions que Rome a provoquées, il n’en est peut-être pas de plus naturelles, de plus naïves, que les courtes pièces de vers dont se compose ce que Louis Tieck a intitulé : Poésies sur le voyage d’un malade. Tieck est un aimable et ingénieux poète,