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rains of years. La nuit, au Colysée, méditant sur les malheurs du monde et sur les siens, sur les iniquités de Rome triomphante et sur l’injustice de sa patrie et de ses proches, il évoque Némésis pour qu’elle le venge et punisse… Mais en présence de ces ténèbres azurées d’une nuit italienne, qui flottent sur le merveilleux monument, il sent la colère s’apaiser dans son cœur, et la malédiction y mourir ; et de ce cœur, amolli par la mollesse de l’air et de la nuit, s’échappent ces paroles : « Ma malédiction sera un pardon. »(My curse shall be forgiveness.)

Ainsi Byron, dont la poésie est essentiellement personnelle, n’est si éloquent sur Rome, que parce qu’il a identifié ses propres misères avec les calamités de la ville éternelle : c’est comme un miroir immense et brisé, dont les mille fragmens lui renvoient l’image de sa douleur.

On s’explique moins facilement le caprice d’imagination qui a déterminé Moore, dans ses Rythmes on the road, à parler de Rome ainsi qu’il l’a fait. On sait que sous ce titre sans prétention il a publié un petit volume de poésies détachées, jetées sur la route, selon le hasard et la fantaisie du moment. À Rome, on attend du poète de l’Irlande quelques mélodies catholiques ; il n’est est rien. Le barde coquet d’Érin, le mobile personnage qui passe tour à tour de l’élégie érotique à la controverse, était à Rome en humeur profane. Dans la ville des papes, il n’a une pensée et des vers que pour le tribun Colas Rienzi, et dans la longue harangue paraphrasée du père du Cerceau, que le poète papiste place dans la bouche de Rienzi, on est un peu surpris de trouver ces invectives inutiles contre la papauté : « Et nous, nous avons humblement, lâchement baisé la terre devant le pouvoir papal… le fantôme de notre ancienne patrie… Trop long-temps des prêtres tyrans, et des tyrans affiliés aux prêtres (lordly priests and priestly lords), après avoir flétri tout notre orgueil, nous ont conduits à l’autel comme des animaux dévoués à la mort et entourés de guirlandes fanées. » L’attraction de l’inévitable lieu commun sur l’ancienne Rome, opposée à la moderne, a été plus forte que l’attachement de Moore à l’église, qui cependant, pour un patriote irlandais, devait mieux représenter les idées d’indépendance et de liberté, que ne pouvait le faire le souvenir un peu suranné de Rienzi.