Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
155
PORTRAITS DE ROME.

toujours comme un écueil sous les flots. Ce qu’il peint avec complaisance, ce sur quoi il s’arrête avec une douloureuse prédilection, ce sont les scènes lugubres, les souvenirs de deuil, c’est l’agonie de Venise, c’est la solitude de Ferrare, c’est la tristesse de Rome.

Rome est, pour Byron comme pour Châteaubriand, la cité d’asile des malheureux, le refuge des âmes qui n’espèrent plus, le dernier amour de ceux qui ont aimé. Il lui dit : « Ô Rome ! ma patrie, cité de l’âme, les déshérités du cœur doivent se tourner vers toi. » Son imagination, subjuguée par les merveilles qui l’entourent, trouve de magnifiques descriptions pour le Panthéon, pour Saint-Pierre, pour le Vatican ; mais c’est à l’idée de ruine, de mort, qu’il revient avec une préférence douloureuse. Rome est surtout, pour lui, la Niobé des nations, comme il l’appelle, le symbole majestueux du deuil humain ; tantôt il pleure cette grandeur déchue, tantôt il la raille ; le désenchantement des choses mortelles n’a jamais prononcé ses anathèmes de plus haut que de ce sublime piédestal de ruines. Byron tient là, pour ainsi dire, l’histoire du monde sous ses pieds, et se plaît à en fouler dédaigneusement la poussière : il s’écrie : « Ô homme ! admire, triomphe, méprise, ris, pleure, il y a ici matière à tout cela. » Il se laisse distraire un moment de ces contemplations lugubres par un rêve gracieux d’amour, en présence de la solitaire fontaine d’Égérie, par une rêverie attendrissante qu’éveille en lui l’imposante sépulture de Cécilia Metella, ou le souvenir de la tradition qui a fourni à la peinture le pieux sujet de la charité romaine. Ces images de nymphes descendues du ciel sur la terre, de jeunes femmes descendues de la terre dans une prison ou dans un tombeau, ces images s’élèvent naturellement à côté de la mâle agonie du gladiateur mourant dans cette sombre imagination, d’où sortirent Médora, Angiolina, Zuleika, Heide, la Fiancée d’Abydos, aussi bien que le Corsaire, le Giaour, Manfred et Alp le Renégat ; car les plus douces fantaisies naissaient dans cette ame troublée, comme ces îles riantes de l’archipel qui naissent d’un volcan pendant la tempête. Mais Byron revient bientôt à l’incurable amertume de ses pensées ; il mêle cette tristesse à la tristesse des lieux qu’il contemple. Lui aussi offre au temps son offrande de ruines, des ruines d’années,