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PORTRAITS DE ROME.

prédation. Mais tout à coup une colonne brisée, un bas-relief à demi détruit, des pierres liées à la façon des architectes anciens, vous rappellent qu’il y a dans l’homme une puissance éternelle, une étincelle divine, et qu’il ne faut pas se lasser de l’exciter en soi-même et de la ranimer dans les autres. »

Dans les derniers mots, on retrouve Mme de Staël tout entière, avec sa noble et chaleureuse nature, qui ne pouvait s’endormir sur une contemplation oisive parmi les ruines, mais qui, du sein de ces ruines, faisait un ardent appel à l’éternelle puissance de la sympathie, à l’éternelle jeunesse de l’enthousiasme, comme on plante un arbre toujours vert sur un tombeau.

Au fond, le secret de Corinne, c’est qu’elle préfère Naples à Rome. Dans une belle et grave élégie de M. G. de Schlegel sur Rome, le poète disait à son illustre amie : « Tu t’es abreuvée de vie sur le sein voluptueux de Parthénope, apprends maintenant la mort sur le tombeau du monde. » Mais la vie était trop forte chez Mme de Staël pour qu’elle pût supporter long-temps le silence de la grande capitale du passé. Les fleurs, les parfums qui enivrent, le volcan qui gronde auprès de la mer des syrènes ; le bruit, la foule au soleil, voilà ce qu’il faut à Corinne. Elle est mieux sous le ciel mythologique de Naples que sur le sol historique de Rome ; elle est mieux au cap Misène qu’au Capitole.

Rome et Naples sont les deux idoles entre lesquelles hésite et se partage le culte des adorateurs de l’Italie, ou plutôt on n’hésite pas, chacun se prononce vivement sur la question de supériorité, chacun éprouve et manifeste pour l’une ou l’autre de ces deux villes une préférence décidée. Cette préférence tient à tout l’ensemble du caractère et de l’imagination. On peut prévoir ce que pensera, ce que sentira, dans plusieurs circonstances, une personne dont on connaît l’opinion sur ce point. Ainsi, M. de Lamartine est plutôt le poète de Naples que le poète de Rome. On trouve dans les secondes Méditations une belle description du Colysée éclairé par la lune ; mais sauf ce morceau, et quelques vers magnifiques jetés en passant comme une aumône aux ruines de Rome, avec une pitié qui n’est pas sans dédain, c’est Naples qui a son cœur et sa lyre. M. de Lamartine goûte moins l’art que la nature, l’histoire que la poésie : il est moins sensible aux grandes traces de l’homme