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PORTRAITS DE ROME.

tion parfaitement sereine et satisfaite de l’ame de Goëthe ne lui a pas permis d’aborder Rome par le côté sérieux et sévère : il a connu le culte du beau, plus que la mélancolie du passé ; il a compris le monument mieux que la ruine ; Rome n’a été pour lui qu’un musée, tandis qu’elle est aussi un tombeau ; la morne grandeur, la sublime tristesse de la campagne romaine ne l’eût pas frappé. À Aqua Asetoca, sur ce bord désert du Tibre, où l’on est en présence de cette solitude et de cette désolation qui a rappelé à M. de Châteaubriand celle de Tyr et de Jérusalem, il n’a trouvé à faire que des observations techniques fort justes sur la transparence de l’air et la couleur du paysage, surtout dans les fonds. C’est un paysagiste qui parle de ce que son œil voit ; l’ame du poète devrait sentir autre chose. Rome offrit plus à Goëthe le plaisir du spectacle que le charme intime de la rêverie et de la pensée ; ce n’est qu’au moment de quitter Rome, que son ame, préparée aux émotions sérieuses par la tristesse d’un départ long-temps retardé, paraît avoir été pénétrée de tout ce que Rome, la nuit, peut inspirer de solennel, d’imposant, de lugubre et presque de terrible.

« Après des jours écoulés au sein de distractions pénibles, je fis, entièrement seul, la promenade que j’avais coutume de faire avec un petit nombre d’amis. Lorsque pour la dernière fois j’eus suivi le Corso dans toute sa longueur, je montai au Capitole, qui était là, comme un palais de fée dans la solitude. La statue de Marc-Aurèle me rappela la statue du commandeur dans don Juan, et donna à entendre au voyageur qu’il entreprenait quelque chose d’extraordinaire. Néanmoins je descendis la rampe qui est derrière le Capitole. Lugubre, et jetant une ombre lugubre, l’arc de Septime-Sévère était en face de moi. Dans la solitude, les monumens si connus de la Voie sacrée avaient quelque chose d’étrange et de fantastique. Lorsque je m’approchai des ruines majestueuses du Colysée, et plongeai mon regard dans son intérieur, à travers la grille fermée, je ne puis nier qu’un frisson me saisit et hâta mon retour. » Et Goëthe, exilé de Rome, comme Ovide, s’éloigna en répétant les premiers vers de l’Élégie des adieux : Dum repeto noctem

Mais le moment approchait où Rome allait être comprise dans