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rien encore, dans quelque état que ce soit, à opposer aux magnifiques fontaines qu’on voit à Rome dans les places et les carrefours, ni à l’abondance des eaux, qui ne cessent jamais de couler ; magnificence d’autant plus louable que l’utilité publique y est jointe. » Duclos a raison sans doute ; mais on voit que, pour admirer le beau, cet esprit positif a besoin de le trouver utile.

On ne peut pas dire que Duclos soit tout-à-fait insensible à l’impression des ruines : « Les débris des monumens, dit-il, qui, dans cet état de destruction, sont encore les témoins de la grandeur romaine, jettent l’âme dans une sorte de mélancolie qui n’est pas la tristesse, font naître des réflexions sur le sort des empires. »

Si Duclos s’arrêtait là, il n’y aurait rien à remarquer ; mais voici que le siècle épicurien prend la parole par la bouche du philosophe, que commençait à gagner l’émotion sérieuse des ruines. Le philosophe tourne court, et ajoute, à propos de ces ruines, « qui inspirent une sorte de mélancolie qui n’est pas la tristesse, et font naître des réflexions sur le sort des empires, qu’elles ramènent l’homme à lui-même, et l’avertissent de jouir. » Il faut avouer que les ruines parlaient un singulier langage aux hommes du xviiie siècle.

Le xviiie siècle était en général peu propre à goûter Rome ; à ce siècle, ennemi du passé, l’antiquité imposait peu, et le christianisme ne disait rien[1]. Aussi quand il voulait faire de l’enthousiasme sur Rome, cet enthousiasme était forcé. Le pauvre Dupaty, qui, malgré son pathos, était un homme d’esprit, a payé pour tous. On s’est mieux souvenu de ses déclamations que de celles d’une foule de ses contemporains, parce qu’elles étaient plus brillantes sans être plus absurdes ; et on peut dire que quelques qualités réelles lui ont valu une célébrité de ridicule. Mais pour être juste, il ne faudrait pas s’en tenir à Dupaty. Des hommes de talent

  1. Aussi presque personne ne se tourne de ce côté ; on peut juger d’un temps par les voyages qu’on fait le plus volontiers dans ce temps. Au xvie siècle tout le monde allait en Italie ; presque tous les grands hommes du xviiie siècle vont en Angleterre, peu ont vu l’Italie. Montesquieu est en cela comme en plusieurs autres choses, une exception dans son époque. L’esprit posé et réfléchi de Montesquieu avait goûté Rome, ville de méditation et de recueillement. On sait qu’il disait que c’est à Rome qu’il choisirait de vivre.