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REVUE. — CHRONIQUE.

Telle est la description que Washington Irving, avant de commencer le récit de son voyage dans les Prairies, donne de ces lieux, qui, en grande partie, n’ont point été explorés par des hommes blancs. Le livre qu’il publie expose, sous une forme poétique, le résultat de son exploration, et présente à la fois tout l’intérêt de la nouveauté et tout le charme d’un petit chef-d’œuvre littéraire. Les romans de Fénimore Cooper nous avaient déjà initiés à cette vie errante des Prairies, à ces mœurs indiennes dont la douceur, parfois exagérée, forme toujours un contraste affligeant avec les malheurs de cette race, à qui l’Européen donne le droit de maudire la civilisation, puisque, par les progrès de cette civilisation, elle se voit incessamment repoussée loin du berceau de ses enfans et de la tombe de ses pères. À ces tableaux, tracés par une main habile, à ces récits dont la moralité éclate à travers les fictions, il fallait ajouter des tableaux où l’exactitude graphique, aussi bien que la vérité morale, s’alliât au prestige de la poésie. Mais quel écrivain pouvait entreprendre cette œuvre ? À qui appartenait-il de rivaliser l’auteur de la Prairie et du Dernier des Mohicans ? N’est-ce point à celui que déjà l’opinion publique désignait comme son émule ?

« Les Indiens que j’ai eu l’occasion d’étudier dans leurs mœurs réelles, dit M. Irving, sont bien différens de ceux que nous représente la poésie. Ils n’ont point ce regard stoïque, cet air taciturne, cette sorte d’impassibilité qui ne laisse accès ni aux larmes ni au sourire. Ils sont taciturnes, il est vrai, lorsqu’ils vivent avec des hommes blancs, dont les intentions leur sont suspectes, et dont le langage leur est inconnu : mais placez un homme blanc dans des circonstances semblables, et vous verrez jusqu’à quel point son caractère se modifiera. Lorsque les Indiens vivent entre eux, ils ne sauraient être plus animés, plus gais, plus enclins à la confiance. Ils passent la moitié de leur temps à raconter leurs aventures de guerre et de chasse, ou à inventer des fables fantastiques. Ils excellent dans l’art mimique, et ce qu’il y a de singulier en ceci, c’est que les hommes blancs qui se plaisent à les considérer comme des admirateurs bénévoles de la grandeur et de la dignité de la race européenne, sont presque toujours l’objet de leurs satires bouffonnes. Les Indiens sont de malicieux observateurs qui examinent chaque chose en silence, échangeant entre eux, toutes les fois que quelque ridicule les frappe, des œillades significatives, mais réservant leurs commentaires pour le moment où ils sont seuls. C’est alors qu’il faut voir, dans leurs plaisantes parodies, leurs grimaces, leurs accès de gaieté.

« Dans le cours de mes voyages, ajoute Washington Irving, j’ai eu de fréquentes occasions de remarquer et leur propension naturelle à l’iro-