Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
NOTICES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES.

tient dans son administration intérieure ce système de défiance et de réserve, qui ramène tout au secret de ses délibérations, et s’efforce de ne rien laisser percer au dehors. L’Autriche est, au xixe siècle, le seul état qui rappelle l’ancien gouvernement mystérieux de Venise. Tous ses projets se discutent dans l’ombre ; toute sa politique s’enveloppe d’un voile épais, et demande le silence. Elle redoute le bruit, la publicité, l’indiscrétion des journaux ; elle ne souffre pas même l’éloge, comme l’a dit M. Saint-Marc Girardin, car l’éloge peut amener le blâme, ou tout au moins la discussion, et la discussion lui fait peur. Elle a son conseil des dix, qui ne doit rien révéler de ses délibérations. Elle a son pont des Soupirs à Olmütz et à Spielberg. Silvio Pellico, Maroncelli et le noble Gonfalonieri y ont expié le crime d’avoir montré plus de patriotisme et d’idées libérales qu’elle n’en voulait. Quant à ses moyens de défense, ils reposent sur cette police dont le tronc est implanté au cœur de l’empire, au palais du ministre, et dont les mille rameaux s’élargissent, se divisent, et vont se répandre dans toutes les provinces, dans toutes les villes, dans tous les bourgs de l’empire, jusqu’aux frontières, tandis que les racines touchent, par des voies que l’on ne connaît pas, aux villes et aux royaumes étrangers. Cette police, vous la trouvez partout, à votre hôtel, dans les rues, au théâtre, à l’église ; c’est le commissionnaire qui vous offre ses services ; c’est le marchand qui, tout en vous ouvrant son magasin, reconnaît à votre façon de parler que vous n’êtes pas Allemand, et veut savoir d’où vous venez ; c’est la jeune fille qui vous fait signe de l’angle d’une place. Restez chez vous, fermez votre porte, ne voyez personne : n’importe ! on saura ce que vous avez fait tout le jour. Cachez vos lettres dans votre portefeuille, tournez la clé de votre secrétaire à double tour, vous ne serez pas bien loin, que l’on saura si c’est une correspondance d’amour ou une correspondance d’affaires que vous entretenez. D’ailleurs, la poste est là, et l’on serait mal venu de montrer ici ces susceptibilités sur le secret des lettres que nous avons parfois criées si haut en France. À Vienne, c’est chose convenue, toutes les lettres sont décachetées ; personne n’échappe à cette loi commune, et l’un des hommes les plus distingués de cette ville, un homme qui, par les hautes fonctions qu’il occupe, approche très souvent de l’empereur et très souvent de M. de Metternich, ne nous a-t-il pas avoué lui-même qu’il avait été obligé de rompre des relations depuis plusieurs années établies avec un de nos compatriotes, parce que l’on ouvrait toutes ses lettres, et que dans les derniers temps ces lettres le compromettaient.

Ainsi cette police s’étend à tout. Elle entre dans l’intérieur de votre vie, dans le secret de vos occupations. Quel dommage qu’elle ne puisse