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qu’il y a de jugemens lumineux, d’intentions parfaites et de salutaires avis, dans les recherches de M. de Tocqueville. Nous voudrions pouvoir reproduire ses éloquentes pages sur les vices de notre centralisation si mortelle aux vertus de l’esprit de cité. Selon lui, si le despotisme venait à s’établir de nouveau dans notre pays, dépourvu de la plupart de ses croyances et de ses vieilles garanties, il s’y montrerait sous des traits inconnus à nos pères. Il pense que nous sommes arrivés à ce point, qu’il nous est nécessaire d’opter entre la plus avilissante tyrannie ou le développement graduel d’une pleine démocratie, parce qu’une complète égalité des conditions sociales peut mener également à ces deux résultats. Il croit enfin que, s’il est difficile d’inspirer au peuple les sentimens qui lui manquent pour se bien gouverner, le législateur ne doit jamais oublier que chaque génération est comme un peuple nouveau offert à ses réformes.

M. de Tocqueville conseille à l’Amérique plusieurs moyens de centraliser davantage, dans certains cas, son administration judiciaire ou civile. Le contraste de la chambre des représentans, composée en général d’hommes assez vulgaires, avec le sénat rempli des plus illustres notabilités de l’Union, lui fournit une occasion de remarquer que la première assemblée est le produit du vote universel direct, tandis que la seconde est le produit du vote universel à deux degrés. Le sénat, qui représente particulièrement les états, étant nommé par les législatures de chacun d’eux, il suffit que la volonté populaire passe à travers cette assemblée choisie, pour s’y élaborer, en quelque sorte, et en sortir revêtue de formes plus nobles et plus belles. Les hommes ainsi élus représentent toujours exactement la majorité de la nation qui gouverne ; seulement ils ne représentent que les pensées élevées, les instincts généreux qui ont cours au milieu d’elle. Cette opinion de M. de Tocqueville pourrait également s’appuyer sur l’autorité de l’assemblée constituante et de l’assemblée législative ; quoiqu’elle ne descende à aucun règlement de détail, elle a l’avantage de concilier, dans l’intérêt de la société, le principe qui considère le vote électoral comme un droit naturel, avec celui qui le réserve comme une fonction.

En présence de tous les vices qui accompagnent encore l’exercice de la souveraineté populaire dans les deux mondes, combien n’a-t-on pas opposé de lugubres paradoxes et d’affreuses caricatures sur la démocratie, aux ardens courages qui, pour hâter ses progrès, ne tenaient pas compte de la difficulté des temps et des lieux ! Le courage de M. de Tocqueville est celui du dévouement studieux, de la prudence persévérante et des transitions sincères.

Nous lui reprocherons toutefois la mélancolie et la contradiction de