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DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE.

état européen, puisse vivre sans une forte concentration des pouvoirs qui lui sont nécessaires ; mais il a soin de distinguer la centralisation gouvernementale de la centralisation administrative. Cette dernière n’est bonne, selon lui, qu’à énerver les peuples, parce qu’elle tend sans cesse à diminuer parmi eux l’esprit de cité. La centralisation administrative parvient, il est vrai, à réunir à une époque donnée, et dans un certain lieu, toutes les forces disponibles de la nation, mais elle nuit à la reproduction des forces. Elle la fait triompher le jour du combat en diminuant à la longue sa puissance. Qu’on y prenne garde, quand on dit qu’un état ne peut agir parce qu’il n’a pas de centralisation, on parle presque toujours de la centralisation gouvernementale qui existe au plus haut point dans la république américaine.

La puissance nationale est plus concentrée aux États-Unis qu’elle ne l’a été dans aucune des anciennes monarchies de l’Europe. Rien ne saurait l’arrêter, ni priviléges, ni immunités locales, ni influence personnelle, pas même l’autorité de la raison, puisqu’elle représente la majorité qui se prétend l’unique organe de la raison. Elle n’a d’autres limites que sa propre volonté. À côté d’elle et sous sa main, le représentant du pouvoir exécutif, soit dans l’Union, soit dans chaque état, ne peut que contraindre les mécontens à l’obéissance, par la force matérielle dont il dispose.

Le pouvoir social ainsi centralisé change souvent de mains, parce qu’il doit être l’organe de la souveraineté populaire. Il lui arrive de manquer de sagesse et de prévoyance, précisément parce qu’il peut tout. Là se trouve pour lui le danger. C’est donc à cause de sa force même, et non par suite de sa faiblesse, qu’il est menacé. Si jamais la liberté se perdait en Amérique, il faudrait s’en prendre au despotisme de la majorité qui aurait réduit de puissantes minorités au désespoir.

Deux dangers principaux menacent l’existence des démocraties : l’asservissement du pouvoir législatif aux volontés du corps électoral, et la concentration dans le pouvoir législatif de tous les autres pouvoirs du gouvernement.

Les législateurs des états ont favorisé l’accroissement de ces dangers. Les législateurs de l’Union ont fait ce qu’ils ont pu pour les rendre moins redoutables. Le pouvoir exécutif est plus faible dans les états, vis-à-vis les deux chambres, les juges sont aussi moins indépendans que dans le gouvernement fédéral, La constitution nationale est donc supérieure, selon M. de Tocqueville, à toutes les constitutions des états.

Dans les confédérations qui ont précédé, en divers pays, la constitution des États-Unis, telle qu’elle fût arrêtée en 1789, les peuples qui s’alliaient, gardaient le droit d’ordonner et de surveiller chez eux l’exécution des