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clara presque sérieusement que je méritais la mort. Le diable m’emporte si je comprends ce que cela veut dire. Néanmoins, j’en suis tout ravi et tout glorieux, comme je dois l’être ; et je ne manque pas, depuis ce jour-là, de dire à tous mes amis, en confidence, que je suis un personnage littéraire et politique fort important, donnant ombrage à ceux de mon propre parti, à cause de ma grande supériorité sociale et intellectuelle. Je vois bien que cela les étonne un peu, mais ils sont si bons qu’ils consentent à partager ma joie. Le Malgache m’a demandé ma protection, afin d’avoir l’honneur d’être pendu à ma droite, et Planet à ma gauche. Nous ne pouvons manquer d’échanger, dans cette situation, les plus charmans jeux de mots et les plus délicieuses facéties. Mais en attendant, je ne veux pas qu’on en plaisante, et je prétends que mes amis disent de moi : — Ce garçon-là a trop d’esprit, il ne vivra pas.

Voyons, pourtant, examinons l’affaire de mes confrères les artistes ; car pour moi, je n’ai garde de me défendre. J’aurais trop peur d’être acquitté comme le plus innocent des hommes, et de ne pas avoir les honneurs du martyre pour mes idées. — Un instant ! tu me feras le plaisir de formuler un peu lesdites idées après mon trépas, car jusqu’ici je t’avoue, en secret, qu’il n’y a pas l’ombre d’une idée dans ma tête et dans mes livres. Le devoir de ton amitié est d’apprendre aux gens qui, par hasard, auraient lu les livres susdits, ce qu’ils prouvent et ce qu’ils ne prouvent pas. Il ne serait peut-être pas inutile non plus de me l’apprendre à moi-même, afin que je pusse démontrer à mes juges, par mes réponses, combien mon intelligence a de profondeur, de perversité, et combien il est urgent d’éteindre une si terrible comète, capable d’embraser la terre.

Ceci posé (et ne va pas me contredire ni t’aviser de plaider pour mon innocence ; le bon Dieu bénisse les obligeans ! je les remercie fort de leur bonne volonté, et les prie de vouloir bien me laisser être pendu en repos), parlons des autres. Qu’ont-ils fait, les pauvres innocens ? Sont-ils capables de causer la mort d’une mouche ? Il n’y a que Byron et moi, sachez-le bien…

Mais je t’ennuie avec mon incorrigible et plate facétieuseté. Donne-moi un coup de poing, et me voilà redevenu sérieux.