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aussi attachant dans ses leçons. Mon précepteur m’avait fait de la nature une pédante insupportable ; le Malgache m’en fit une adorable maîtresse. Il lui arracha sans pitié la robe bigarrée de grec et de latin, au travers de laquelle j’avais toujours frémi de la regarder. Il me la montra nue comme Rhéa, et belle comme elle-même. Il me parlait aussi des étoiles, des mers, du règne minéral, des produits animés de la matière, mais surtout des insectes pour lesquels il avait conçu dès-lors une passion presque aussi vive que pour les plantes. Nous passions notre vie à poursuivre les beaux papillons qui errent le matin dans les prairies, lorsque la rosée engourdit encore leurs ailes diaprées. À midi, nous allions surprendre les scarabées d’émeraude et de saphir qui dorment dans le calice brûlant des roses. Le soir, quand le sphynx aux yeux de rubis bourdonne autour des œnothères et s’enivre de leur parfum de vanille, nous nous postions en embuscade pour saisir au passage l’agile, mais étourdi buveur d’ambroisie. Rien ne donne l’idée d’un sylphe déguisé, allant en conquête, comme un grand sphynx avec sa longue taille, ses ailes d’oiseau, sa figure spirituelle, ses antennes moelleuses et ses yeux fantastiques. Des couleurs sombres et mystérieuses, semées de caractères magiques et indéfinissables, revêtent les ailes supérieures qui se replient sur son dos. Il y a un rapport extraordinaire entre la robe des sphynx et des noctuelles, et le plumage des oiseaux de nuit. Le fauve, le brun, le gris et le jaune pâle s’y mêlent toujours sous le chiffre cabalistique noir et blanc, semé en long, en biais, en travers, en triangle, en croissant, en flèche, sur toutes les coutures. Mais de même que la chouette et l’orfraie cachent sous leur sein un duvet éclatant, de même quand les sphynx ouvrent leur manteau de velours, on voit les ailes inférieures former une tunique tantôt d’un rouge vif, tantôt d’un vert tendre, et tantôt d’un rose pur orné d’anneaux azurés. Je parie, malheureux que tu es, ô ennemi des dieux ! que tu n’as jamais vu un sphynx ocellé, et cependant nos vignes les voient éclore, ces merveilles de la création qui m’ont toujours semblé trop belles pour ne pas être animées par des esprits de l’air et de la nuit. Ah ! c’est faute de connaître tout cela, hommes infortunés, que vous tenez vos regards invariablement fixés sur la nature humaine. Il n’en était pas ainsi de mon