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tout système de non-intervention est l’excuse de la lâcheté ou de l’égoïsme, parce qu’il n’y a aucune chose humaine qui ne soit avantageuse ou nuisible à l’humanité. Quelle que soit mon ambition, dis-tu, soit que je désire être admiré, soit que je veuille être aimé, il faut que je sois charitable, et charitable avec discernement, avec réflexion, avec science, c’est-à-dire philantrope. J’ai l’habitude de répondre par des sophismes et des facéties à ceux qui me tiennent ce langage ; mais ici c’est différent, je te reconnais le droit de prononcer cette grande parole de vertu, que j’ose à peine répéter moi-même après toi. J’y ai toujours été des plus rétifs, et la faute en est à ceux qui m’ont voulu baptiser avec des mains impures. Quand on veut laver la souillure du péché, il faut être Jean-Baptiste pour le plus obscur catéchumène tout aussi bien que pour le Christ, et les cheveux de Magdeleine ne doivent point essuyer les pieds qui marchent dans les voies de l’erreur.

Ô toi, qui m’interroges, as-tu quitté les sentiers dangereux où la jeunesse se précipite ? Retiré dans le sanctuaire de ta volonté, as-tu pratiqué, depuis ces années sévères de ta réflexion, les vertus antiques que tu prises au-dessus de tout : la tempérance, la charité, le travail, la constance, le désintéressement, la sainte simplicité de Jean Hus ? — Oui, je le sais ; eh bien ! parle ; mon orgueil se révolte contre ceux qui ne sont pas plus grands que moi et qui veulent me mettre à leurs pieds. Toi qui n’as pas seulement la puissance de l’entendement, mais la force du cœur, parle ; je répondrai comme à un juge légitime et t’obéirai en te parlant de moi tant que tu le voudras, car je confesse qu’il y avait plus de paresse coupable de ma part à l’éviter, que de véritable modestie.

Ô mon frère ! ceci est un entretien grave, une époque grave dans ma pauvre vie ! Je ne suis point venu ici avec un sentiment d’abnégation enthousiaste, mais avec une sérieuse volonté de ne voir en toi que ce qu’il y aurait de vraiment beau. J’étais cuirassé contre les effets magnétiques qui sont toujours à craindre dans un contact avec les hommes supérieurs. Aussi je puis dire que je n’ai point été ébloui par le prestige que tu exerces sur les autres ; les lignes romaines de ton front, la puissance de ta parole, l’éclat