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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

bûche couronnée, c’est renoncer à sa dignité d’homme et se faire académicien. Moi, je fuis le bruit des clameurs humaines et je vais écouter la voix des torrens. Sois sûr que je prierai l’esprit des lacs et les fées des glaciers de prendre quelquefois leur vol vers toi, et de te porter dans une brise, un parfum des déserts, un rêve de liberté, un souvenir affectueux et profond de ton frère le voyageur. Je ne suis plus qu’un oiseau de passage dans la vie humaine ; je ne fais plus de nid, et je ne couve plus d’amours sur la terre ; j’irai frapper du bec à ta fenêtre de temps en temps, et te donner des nouvelles de la création au travers des barreaux de ta prison ; et puis je reprendrai ma course inconstante dans les champs aériens, me nourrissant de moucherons, tandis que tu partageras des fers et des couronnes avec tes pareils ! Votre ambition est noble et magnifique, ô hommes du destin ! De tous les hochets dont s’amuse l’humanité, vous avez choisi le moins puéril, la gloire ! Oui, c’est beau, la gloire ! Achille prit un glaive au milieu des joyaux de femme qu’on lui présentait ; vous prenez, vous autres, le martyre des nobles ambitions, au lieu de l’argent, des titres et des petites vanités qui charment le vulgaire. Généreux insensés que vous êtes, gouvernez-moi bien tous ces vilains idiots, et ne leur épargnez pas les étrivières. Je vais chanter au soleil sur une branche, pendant ce temps-là. Vous m’écouterez quand vous n’aurez rien de mieux à faire ; tu viendras t’asseoir sous mon arbre quand tu auras besoin de repos et d’amusement. Bonsoir, mon frère Éverard, frère et roi, non en vertu du droit d’aînesse, mais du droit de vertu. Je t’aime de tout mon cœur, et suis de votre majesté, sire, le très humble et très fidèle sujet.

15 avril.

Tu m’adresses plusieurs questions auxquelles je voudrais pouvoir répondre, pour te prouver au moins que je suis attentif à toutes les paroles que trace ta plume. Pour procéder à la manière de mon cher Franklin, les voici dans l’ordre où tu les as posées : 1o  Pourquoi suis-je si triste ? 2o  Si tu n’étais pas si différent de moi, t’aimerais-je autant ? 3o  Suis-je pour quelque chose dans vos