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LA COMÉDIE AU IVe SIÈCLE.

dans la journée veille tout le reste du temps. Je ne crois pas que la nature ait rien fait de mieux au monde que la nuit. La nuit est pour nous le jour. C’est alors que nous faisons tout ce qui nous plaît. La nuit nous allons au bain, quoique ce soit l’usage d’y aller le jour. Nous nous baignons avec les jeunes servantes de nos maîtresses. N’est-ce pas là une vie libre ? Tout est alors aussi bien éclairé, aussi resplendissant qu’il convient pour ne nous pas trahir. Je presse une belle que son maître voit à peine habillée. Je parcours son flanc, je mesure le volume et les anneaux de ses cheveux déroulés ; je m’assieds près d’elle ; je l’embrasse et je suis embrassé ; je la presse et je suis pressé. Quel maître a ce bonheur ? Ce qui met le comble à notre félicité, c’est qu’entre nous il n’y a point de jalousie. Chacun de nous vole ; mais personne n’en souffre, parce que tout est commun. Nous enfermons nos maîtres et nous les excluons de nos assemblées ; il n’y a d’union qu’entre les esclaves des deux sexes. Malheur à ceux dont les maîtres veillent tard ! tout ce qu’on retranche à la nuit, on le retranche à la vie de l’esclave. Combien d’hommes libres voudraient pouvoir être maîtres pendant le jour et esclaves pendant la nuit ! Tu n’as pas le temps, Querolus, de vouloir partager ces plaisirs ; toi, tu comptes ton revenu. Pour nous, toutes les nuits sont des noces, des anniversaires, des jours de jeux, de fêtes, de danses avec de belles esclaves ! C’est pour cela que quelques-uns d’entre nous ne veulent pas être affranchis ; car quel homme libre pourrait suffire à tant de dépenses et jouir d’une pareille impunité ? »

Non, il n’y a rien dans aucun auteur de la même époque qui nous fasse mieux connaître les mœurs de la famille au ive siècle ; rien qui peigne plus à nu cette demi-révolte, ce demi-affranchissement des esclaves que le christianisme était à la veille de transformer en serfs ; rien qui nous montre, avec plus de verve et de poésie, cette frénésie de plaisirs et de danses, qui transportait l’esclave ancien comme elle transporte aujourd’hui les noirs dans nos colonies. Là aussi les esclaves des deux sexes, épuisés des travaux du jour, dansent toute la nuit au bruit de bâtons qu’ils frappent en mesure. Non, je ne connais rien de plus curieux que ces cinq ou six pages perdues dans cette pièce si étrangement dédaignée jusqu’ici. En vérité, ce monologue n’est pas moins caractéris-