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— Je ne ferai jamais cette dernière proposition à Geneviève. Je sais que je lui deviendrais odieux et que je rougirais de moi-même, le jour où je chercherais à en faire ma maîtresse quand je puis en faire ma femme.

— Tu résisteras donc à ton père, hardiment, franchement ? — Oui. — Eh bien ! à l’œuvre tout de suite ! Geneviève n’est pas bien loin. Il faut courir après elle : tu es assez fort pour sortir, je vais mettre François au char-à-bancs de M. ton père. Il le prendra comme il voudra, et nous partirons tous deux. Nous rejoindrons la route de Guéret par la traverse, et nous ramènerons Geneviève à la ville. Voilà pour aujourd’hui. Tu coucheras demain chez moi et tu écriras une jolie petite lettre au marquis, dans laquelle tu lui demanderas doucement et respectueusement son consentement… ensuite, nous verrons venir…

Ce projet plut beaucoup à André. Allons, dit-il, je suis prêt…

Joseph alla jusqu’à la porte, s’arrêta pour réfléchir et revint.

— Que t’a dit ton père, demanda-t-il, lorsque tu lui as parlé de ton projet ?

— Ce qu’il m’a dit ? reprit André étonné ; je ne lui en ai jamais parlé.

— Comment, diable ! tu n’es pas plus avancé que cela ? et pourquoi ne lui en as-tu pas encore parlé ?

— Et comment pourrais-je le faire ? sais-tu quel homme est mon père quand on l’irrite ?

— André, dit Joseph en se rasseyant d’un air sérieux, tu n’épouseras jamais Geneviève, elle a bien fait de renoncer à toi.

— Oh ! Joseph, pourquoi me parles-tu ainsi, quand je suis si malheureux ? s’écria André en cachant son visage dans ses mains. Que veux-tu que je fasse ? que veux-tu que je devienne ? Tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir vécu vingt ans sous le joug d’un tyran. Tu as été élevé comme un homme, toi, et d’ailleurs la nature t’a fait robuste. Moi, je suis né faible, et l’on m’a opprimé…

— Mais par tous les diables ! s’écria Joseph, on n’élève pas les hommes comme les chiens. On ne les persuade pas par la peur du fouet. Quel secret a donc trouvé ton père pour t’épouvanter ainsi ? Crains-tu d’être battu ? ou te prend-il par la faim ? L’aimes-tu ou le hais-tu ? es-tu dévot ou poltron ? Voyons, qu’est-ce qui t’em-