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ne voudrait jamais le subir. M. Thiers est donc regardé par les doctrinaires eux-mêmes comme un alliage qui leur est nécessaire en cet instant ; et pour le roi, M. Thiers est un serviteur particulier, qui représente sa pensée particulière dans ce ministère où il n’est plus le maître absolu. Il est inutile d’ajouter que M. Thiers, passé maître en roueries, profite largement ou plutôt abuse de cette situation.

M. Guizot s’est formé, selon sa coutume, de grandes convictions politiques sur l’intervention. Il rappelle au roi que c’est à lui, le roi, qu’on doit la pensée première d’une ligne constitutionnelle du midi de l’Europe contre le Nord absolutiste, et l’exécution de cette pensée formulée par la quadruple alliance. Le roi, dit-il, se refuserait au développement de ses propres idées et de son système, s’il laissait compromettre en Espagne, faute d’une intervention, le régime représentatif. Vous pensez bien que les développemens et les faits historiques ne manquent pas à M. Guizot, et que de belles et abondantes paroles viennent à l’appui de son dire, paroles qui seraient concluantes pour son noble auditeur, si celui-ci n’avait pas un autre système pour se mettre à l’abri de la colère des puissances du Nord : c’est de se soumettre à elles, et de satisfaire à toutes leurs prétentions.

Il y a quelques jours, un pair, un ancien ministre, qui s’est rendu fameux par ses expédiens, proposait un moyen ingénieux de sortir des embarras de l’intervention. La Prusse et la Russie, disait-il, forment un camp de plaisance à Kalish. La garde impériale russe à pied s’embarque à Cronstadt, et descendra à Dantzig, en Prusse ; la cavalerie est déjà en route, pour se rendre par terre aux frontières prussiennes. L’Autriche fournira aussi son contingent. N’est-ce pas là une intervention véritable ? Qu’un mouvement séditieux éclate dans le royaume de Prusse, même vers les bords du Rhin, les troupes étrangères, rassemblées pour le plaisir des souverains, ne profiteront-elles pas de l’occasion pour aller étouffer la sédition ? Que la régente d’Espagne ne fait-elle ainsi ? que ne propose-t-elle à ses alliés de se donner le divertissement de grandes manœuvres militaires en Navarre ou en Catalogne ? Que ne forme-t-elle à son tour un camp de plaisance à Pampelune ou à Vittoria ? Nous enverrions cinquante mille hommes et le prince royal à ces fêtes militaires ; l’Angleterre et le Portugal se feraient aussi un véritable plaisir d’y participer. Pourquoi l’Europe occidentale n’aurait-elle pas à son tour ses délassemens d’été ? Rien ne défend aux rois constitutionnels de jouer aux soldats, comme le font les rois absolus. Ce ne serait pas là une intervention, et on aurait bien mauvaise grace si l’on se plaignait, au camp de Kalish, des manœuvres du camp de Catalogne. Voilà ce que disait le personnage dont nous parlons ; et, en vérité, avec la bonne foi qui règne dans les affaires, ce serait la matière d’une excellente note diplomatique.

Du reste, cette question apparaîtra sans doute demain dans les chambres, et les rappellera à la vie, car elles succombent de lassitude et d’ennui. La chambre des députés semble épuisée par sa dernière incartade. Elle a honte des fougueux et violens personnages qui l’ont compromise dans une lutte corps à corps avec les journalistes, où l’on a vu un fonc-