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après Rubini ; c’est, je crois, un mérite assez glorieux : il seconde parfaitement Mme Malibran, et souvent il lui arrive de trouver des accens vraiment pathétiques.

Mme Malibran, en choisissant le rôle d’Amina, était sûre de réussir ; mais elle avait beaucoup à faire pour élever la musique jusqu’à elle. Après avoir pratiqué, en France et en Italie, Mozart, Cimarosa et Rossini, elle devait se sentir trop à l’aise dans une opérette comme la Sonnambula. Cette musique indécise ne va guère à sa taille ; mais, comme la plupart des virtuoses de premier ordre, elle préfère sans doute la musique secondaire, parce qu’elle la traite plus librement, parce qu’elle la chante avec une franchise plus cavalière. C’est, je crois, un mauvais calcul ; charmante et mutine dans Rosina, adorable de tristesse et de passion dans Ninetta, puérile quelquefois comme une petite fille grondée, mais le plus souvent pathétique et sublime dans Desdemona, pourquoi maintenant va-t-elle prendre sous son patronage le rôle d’Amina ? Est-ce pour lutter avec Julie Grisi ou avec miss Romer ? Mais, malgré les caprices de la presse, il n’y a pas de comparaison possible entre Mme Malibran et la belle Milanaise. Mlle Grisi possède un très agréable talent ; elle est pleine de grace, de zèle pour son art, mais les applaudissemens qu’elle recueillait à Paris cet hiver, et qu’elle reçoit maintenant à Londres, ne s’adressent-ils pas aussi un peu à sa jeunesse et à sa beauté. Miss Romer est gracieuse, mais son talent musical est tout-à-fait sans conséquence. Je crois plutôt que Mme Malibran a choisi le rôle d’Amina, écrit en anglais, pour montrer que rien ne résiste à la toute-puissance de ses facultés, et en effet elle a su imprimer aux consonnes multipliées de l’Amina anglaise un caractère singulièrement mélodieux ; il y a, dans sa manière de prononcer les mots, quelque chose de personnel et de facile, qui n’est pas précisément l’accent anglais, mais qui ne se heurte à aucune syllabe ; elle réduit à son obéissance les mots les plus rebelles, par la fraîcheur et la jeunesse de ses intonations ; elle multiplie les richesses de la prosodie, et pas une voix dans l’auditoire ne songe à discuter la légitimité de son accent.

Elle n’a pour elle ni la beauté sculpturale, ni la beauté pittoresque. Il y a dans ses attitudes et dans ses gestes une rapidité presque virile, qui d’abord ne prévient pas pour elle. Mais elle a mieux que la beauté, elle a une exubérance de facultés qui se réfléchit sur son visage, et qui la fait supérieure à tout ce qui l’entoure. Son regard est si vif, sa voix si passionnée, sa lèvre si palpitante, sa respiration si hâtée, qu’elle semble vivre à chaque minute une heure de la vie commune. Les singularités qui déplairaient chez une autre femme, charment en elle comme une grace de plus.

Dans la scène de jalousie entre Elvino et Amina, elle est ravissante. Elle dit avec une finesse inexprimable tous les mots du dialogue, et son regard accompagne sa voix avec une précision qui défie la critique la plus difficile. Quand elle rappelle son amant pour lui avouer une faute imaginaire, elle a très bien chuchotté : Yes, y will acknowledge (eh bien ! oui, j’avouerai) ; puis, avec une bouderie délicieuse, elle ajoute : Y can’t acknowledge so far (je ne puis pas avouer de si loin).