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quille ; si la fin de son règne approche, ce n’est pas Bellini qui le détrônera.

Que Bellini ait substitué aux formules rossiniennes des phrases plus simples et d’un rhythme moins rapide, je ne veux pas le nier ; qu’il ait tenté quelquefois avec bonheur d’exprimer la tendresse et les douces émotions, à la bonne heure ! Mais de là à la conquête d’un rang glorieux dans l’histoire de la musique il y a loin, n’est-ce pas ? Je reconnais bien volontiers que Rossini a souvent abusé de son incroyable fécondité, qu’il lui est arrivé de terminer en queue de rat, par des crescendo assez uniformes, le développement d’un thème inventé avec génie ; qu’en distribuant à la voix humaine des parties instrumentales, il a quelquefois pressé les doubles croches de façon à rendre l’expression impossible : mais avec tous ces défauts il a créé le Barbiere, la Gazza, Otello, Semiramide et Mosè. Il a trouvé moyen de mettre sur la scène et dans l’orchestre toutes les variétés de la passion acceptables et traduisibles pour la musique. Or Bellini est-il de force à réagir contre une gloire aussi légitime, aussi bien assise que celle de Rossini ? Si la tâche était départie à Weber, la partie serait sérieuse ; mais de Bellini, Rossini n’a pas même à craindre une égratignure.

L’auteur de la Sonnambula a commencé par où finissent d’ordinaire les maîtres éminens, par une entière confiance en lui-même. Il a entendu parler des improvisations de Rossini, et il improvise pour lui ressembler. Mais qui osera dire le temps de l’enfantement ? Qui osera compter les insomnies laborieuses au prix desquelles s’achète la rapidité apparente de la composition ? Vous parlez du Barbier écrit en six semaines ; et les semaines précédentes dépensées en rêveries, en motifs caressés amoureusement, et répudiés plus tard avec un dédain irrévocable, vous les comptez pour rien ? Bellini, comme tous les hommes à qui sourit la popularité, est entouré de courtisans, et rarement de conseillers. La flatterie est de moitié dans la précipitation habituelle de son travail. Sa musique est aujourd’hui sur tous les pianos, elle est facile à chanter ; elle est ornée avec sobriété, et prépare aux gosiers de salon de nombreux triomphes. Faut-il s’étonner si les femmes s’empressent à louer l’auteur de la Sonnambula ? La musique de ses opéras est blonde, souriante, inoffensive ; elle blesse rarement le goût ou les habitudes de l’auditoire. Les tentatives les plus excentriques de Bellini ne vont guère au-delà de l’unisson de deux voix, et quand ces deux voix emplissent la salle comme dans les Puritani, les loges prennent pour un trait de génie un thème de chanson à boire, qui n’irait pas mal dans la bouche de deux chantres avinés après un baptême seigneurial.

La musique de Bellini est, dit-on, expressive. Mais l’expression de cette musique n’est-elle pas toujours la même ? Qu’il s’agisse d’effroi ou d’amour, de fierté ou de jalousie, de menace ou de prière, n’est-ce pas toujours et à tout propos le même ruisseau de notes gazouillantes, qui coulent avec une limpidité uniforme, comme une source naissante sur un lit de cailloux ? Bellini atteint-il jamais à la solennité ? Oui ; mais à quelles conditions ? Quand il est chanté par Mme Pasta ou Mme Malibran. Et dans