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REVUE DES DEUX MONDES.

Comme celui des flots, de la nuit et des bois !

Nous étions seuls, pensifs ; je regardais Lucie.
L’écho de sa romance en nous semblait frémir.
Elle appuya sur moi sa tête appesantie…
Sentais-tu dans ton cœur Desdemona gémir,
Pauvre enfant ? Tu pleurais ; sur ta bouche adorée
Tu laissas tristement mes lèvres se poser,
Et ce fut ta douleur qui reçut mon baiser.
Telle je t’embrassai, froide et décolorée,
Telle deux mois après tu fus mise au tombeau.
Telle, ô ma chaste fleur, tu t’es évanouie.
Ta mort fut un sourire aussi doux que ta vie.
Et tu fus rapportée à Dieu dans ton berceau.

Doux mystères du toit que l’innocence habite,
Chansons, rêves d’amour, rires, propos d’enfant,
Et toi, charme inconnu dont rien ne se défend,
Qui fit hésiter Faust au seuil de Marguerite,
Candeur des premiers jours, qu’êtes-vous devenus ?

Paix profonde à ton âme, enfant ! à ta mémoire !
Adieu ! ta blanche main sur le clavier d’ivoire
Durant les nuits d’été ne voltigera plus…

Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière ;
J’aime son feuillage éploré ;
La pâleur m’en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai.


Alfred de Musset.