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LUCIE.

La terreur brise, étend, précipite les sons ;
Sous les brouillards du soir le meurtrier s’avance,
Invisible combat de l’homme et des démons !

À l’action, Iago ! Cassio meurt sur la place.
Est-ce un pêcheur qui chante ? est-ce le vent qui passe ?
Écoute, moribonde ! il n’est pire douleur
Qu’un souvenir heureux dans les jours de malheur.

Mais lorsque au dernier chant la redoutable flamme
Pour la troisième fois vient repasser sur l’ame
Déjà prête à se fondre, et que, dans sa frayeur,
L’enfant presse en criant sa harpe sur son cœur…
La jeune fille alors sentit que son génie
Lui demandait des sons que la terre n’a pas ;
Soulevant jusqu’à Dieu des sanglots d’harmonie,
Mourante, elle oubliait l’instrument dans ses bras.
Ô Dieu ! mourir ainsi, chaste et pleine de vie !…
Mais tout avait cessé, le charme et les terreurs,
Et la femme en tombant ne trouva que des pleurs.

Pleure, le ciel te voit ! pleure, fille adorée !
Laisse une douce larme au bord de tes yeux bleus
Briller et s’écouler comme une étoile aux cieux !
Bien des infortunés dont la cendre est pleurée
Ne demandaient, pour vivre et pour bénir leurs maux,
Qu’une larme, — une seule ! — et de deux yeux moins beaux !

Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
Langue que pour l’amour inventa le génie !
Qui nous vint d’Italie, et qui lui vint des cieux !
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive, et d’une ombre offensée,
Passe en gardant son voile, et sans craindre les yeux !
Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire,
Dans tes soupirs divins nés de l’air qu’il respire.
Tristes comme son cœur, et doux comme sa voix ?
On surprend un regard, une larme qui coule ;
Le reste est un mystère ignoré de la foule,