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sera ce protectorat ? celui de la France, ou celui de la Prusse ? celui de Paris, ou celui de Berlin ? Voilà la question.

Sur les bords du Rhin les réminiscences de l’histoire, les habitudes de la religion, les méthodes de la science sont allemandes ; mais la législation, les idées politiques et positives, sont françaises. La Prusse a dû respecter l’influence du Code Napoléon, comme nous devrions à notre tour respecter et cultiver les traditions de la science allemande qui fleurit à Bonn. Cologne, qui ne compte aujourd’hui que soixante-quatre mille habitans, incline à la liberté et à l’indépendance, et les rencontrerait mieux du côté de la France que du côté de la Prusse. Trèves aime peu la domination protestante de Berlin, et croirait respirer plus librement sous une influence catholique. La Prusse a voulu établir sur les bords du Rhin le règne moral de la science et du protestantisme germanique : le 18 octobre 1818, anniversaire de la bataille de Leipsig, elle a fondé l’université de Bonn ; mais elle a été contrainte de la partager entre la foi catholique et la foi de Luther. De même, au milieu de ses soins pour rallumer le fanatisme allemand, elle a été forcée de laisser debout la loi française.

Les peuples de la rive gauche n’aiment ni ne haïssent la France et la Prusse pour elles-mêmes ; mais elles désireront l’amitié de la puissance la plus bienfaisante. Il serait insensé de faire de la conquête des provinces rhénanes le but unique d’une guerre, et de vouloir administrer Cologne et Aix-la-Chapelle comme une ville de Champagne ou de Normandie. Hormis Landaw, Sarrlouis, et Sarrbruch, anciennes possessions françaises, la France ne doit rien demander qu’aux intérêts positifs des populations riveraines. Qu’elle se relève elle-même de l’abaissement de sa politique ; qu’en s’abandonnant au cours heureux de ses qualités naturelles, elle se montre bonne, vaillante, humaine, désintéressée, alors elle verra venir les peuples à elle ; ce n’est pas une condition malheureuse que la protection de la France. Les peuples de la rive gauche pourront trouver un jour plus de douceur et de félicité à reconnaître la suzeraineté de Paris que celle de Berlin.

Entre la Prusse et la France, il y aura nécessairement une émulation ardente. À qui la palme de la civilisation et de l’intelligence ?