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AU-DELÀ DU RHIN.

doit choisir entre l’alliance de Saint-Pétersbourg et celle de Paris pour combattre Vienne.

« Pourquoi Canning n’était-il pas à Vienne en 1815, à la place de Castlereagh ? écrivait en 1827 le baron de Stein ; les princes allemands devraient cependant songer que l’indépendance de l’Allemagne vis-à-vis la Russie et la France repose surtout sur les forces morales et matérielles de la Prusse, et ils devraient renoncer à la misérable et dangereuse opposition qui se manifeste partout.

M. de Stein représente avec exactitude l’esprit national de la Prusse, qui sut se relever après la bataille d’Iéna ; il contribua puissamment à rétablir les vieilles franchises municipales du royaume, et à donner ainsi au patriotisme un aliment et une récompense ; il figura au congrès de Vienne ; il portait à la France une haine dont les motifs ne sauraient nous étonner, mais dont les emportemens sauvages choquent le goût et la raison. L’an dernier, une publication indiscrète mit dans le monde littéraire de l’Allemagne le trouble et le scandale. M. de Gagern, père du courageux député de Hesse-Darmstadt, publia, dans les intérêts de sa vanité, des lettres et des billets confidentiels de M. de Stein : dès 1813, il avait brigué avec une insistance extraordinaire l’honneur de l’amitié du ministre prussien ; il le pressait de s’ériger en Luther de la nouvelle émancipation allemande, se contentant pour sa part, disait-il, d’être son Mélanchton. M. de Stein, moitié fatigue, moitié condescendance, consentit à nouer commerce avec lui : il lui écrivait tantôt avec abandon, tantôt avec hauteur ; peu à peu, en se livrant davantage, il épancha sa confiance et sa bile dans des lettres courtes, de petits billets, dont les phrases ont le laconisme et la négligence d’une causerie : et voilà qu’aujourd’hui M. de Gagern livre au public ces témoignages et ces lambeaux d’une confiance trahie ; il les appelle sa participation à la politique (mein Antheil an der Politik), excitant le courroux des uns, la gaieté des autres, et la curiosité de tous. Personne n’est épargné par l’amertume de M. de Stein, pas plus le prince de Metternich que M. Ancillon. Voici quelques traits qui pourront faire connaître cet homme d’un patriotisme si âpre et d’une humeur aristocratique si hautaine :