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vergondée de la terre. Sois ce qu’il te plaira, je ne m’en soucie pas, mais prends les adorateurs ailleurs que sous mon bras. Je ne chasse pas sur tes terres, je n’ai jamais adressé une œillade à ton marjolet de marquis. Si j’avais voulu m’en donner la peine, il n’était pas difficile à enflammer, le pauvre enfant, et mes yeux valent bien les tiens…

Geneviève, révoltée de ce langage, haussa les épaules et détourna la tête vers la fenêtre d’un air de dégoût. — Oui ! oui ! continua Henriette, fais la sainte victime, tu ne m’y prendras plus. Écoute, Geneviève, fais à ta tête, prends deux ou trois galans, couvre-toi de ridicule, livre-toi à la risée de toute la ville, je n’y peux rien et je ne m’en mêlerai plus. Mais je t’avertis que si Joseph Marteau vient encore ici demain passer deux heures tête à tête avec toi, comme il fait tous les soirs depuis quinze jours, je viendrai sous ta fenêtre avec un galant nouveau : car je te prie de croire que je ne suis pas au dépourvu, et que j’en trouverai vingt en un quart d’heure, qui valent bien M. Joseph Marteau… Mais sache que ce galant aura avec lui tous les jeunes gens de la ville, et que tu seras régalée du plus beau charivari dont le pays ait jamais entendu parler. Ce n’est pas que j’aime M. Joseph : je m’en soucie comme de toi. Mais je n’entends pas porter encore le ruban jaune à mon bonnet. Je ne suis pas d’âge à servir de pis-aller.

— Infamie, infamie ! murmura Geneviève pâle et près de s’évanouir ; puis elle fit un violent effort sur elle-même, et se levant elle montra la porte à Henriette d’un air impératif. — Mademoiselle, lui dit-elle, je n’ai plus qu’un soir à passer ici ; si vous aviez autant de vigilance que vous avez de grossièreté, vous auriez écouté à ma porte il y a une heure, ce qui eût été parfaitement digne de vous : vous m’auriez alors entendue dire à M. Joseph Marteau, que je quittais le pays, et vous auriez été rassurée sur la possession de votre amant. Maintenant, sortez, je vous prie. Vous pourrez demain couvrir d’insultes les murs de cette chambre ; ce soir elle est encore à moi. Sortez.

En prononçant ce dernier mot, Geneviève tomba évanouie, et sa tête frappa rudement contre le pied de sa chaise. Henriette, épouvantée et honteuse de sa conduite, se jeta sur elle, la releva, la prit dans ses bras vigoureux, et la porta sur son lit. Quand elle