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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

ces mille petites douleurs, qui n’en sont pas moins un lourd fardeau tant qu’elles se font sentir, bien qu’elles ne soient pas d’un grand poids dans la somme totale de l’existence, et à plus forte raison dans une entreprise du genre de la nôtre. Une surtout surpassait toutes les autres, et celle-là ne nous quittait jamais. Nous étions fatigués faute d’occupation, faute de variété, faute d’excitations morales, faute de pensées, et pourquoi ne l’avouerai-je pas ? faute de société. Aujourd’hui était semblable à hier, et demain devait ressembler à aujourd’hui. Est-il donc étonnant que les visites des sauvages fussent bien venues ? et rien peut-il montrer plus fortement la nature de nos jouissances, que d’ajouter qu’elles nous transportaient de plaisir, comme eût pu le faire la société la plus choisie de Londres ? »

Plus loin : « Je crains que cette maigre relation ne porte trop souvent les marques de la monotonie de notre existence ; mais que peut faire l’écrivain de plus que le navigateur ? Non-seulement les incidens étaient en petit nombre, mais encore sans variété, et n’avaient rien qui pût les différencier entre eux ou attirer l’attention et exciter la pensée. L’uniformité de toutes choses pesait sur l’ame, et si quelque événement la tirait de son état de torpeur, ce n’était que la répétition fatigante de ce qui était déjà arrivé cent fois. Jamais, même dans l’origine où tout était nouveau, rien ne nous avait offert beaucoup d’intérêt ; à plus forte raison en était-il ainsi en ce moment que nous venions d’être enchaînés si long-temps sur un même point. Sans rien à contempler, sans rien capable d’alimenter la réflexion, quelle imagination eût pu trouver, à moins de se lancer dans les fictions du roman, de quoi faire une relation intéressante ? À terre, nul objet qui méritât d’être décrit, n’attirait les regards ; les collines étaient sans effets pittoresques, les rochers n’en présentaient guère davantage, et les lacs, ainsi que les rivières, étaient sans beautés. De végétation, à peine y en avait-il, et d’arbres, pas un seul. D’ailleurs, quand bien même la scène eût possédé quelque beauté, celle-ci eût été enfouie et étouffée sous le fardeau éternel, accablant et désolé de la glace et de la neige. Sur mer il n’y avait point de variété, car tout était glace pendant la presque totalité de l’année, et alors il n’existait nulle différence entre la terre et l’eau. Rarement trouvions-nous dans le ciel de quoi nous dédommager de ce qui manquait sur la terre ; tout ce qui eût pu prêter au pittoresque, était revêtu des caractères de l’hiver. Quant au côté moral, qu’était-ce, sinon les rares apparitions de misérables créatures qui n’avaient rien qui pût nous intéresser long-temps, et dont les idées étaient épuisées presque dès la première entrevue ? Quel écrivain, réduit à de si tristes matériaux, pourrait espérer de produire un livre digne d’intéresser et de plaire ?