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il parvienne au lieu où nous nous sommes arrêtés, nous lui envions presque le bonheur qu’il éprouvera, car nous savons avec quels transports le voyageur errant dans ces solitudes rencontre tout à coup des traces de ses amis et du sol natal. Nous nous réjouirions en même temps d’apprendre qu’il a réussi dans l’entreprise où nous avons échoué, et peut-être autant que si nos pénibles efforts eussent été couronnés de succès[1]. »

Le 13 juin, le commandant Ross était de retour à bord du Victory. Il y avait, à cette époque, un an passé que l’expédition avait quitté l’Angleterre, et rien n’annonçait qu’elle pût de sitôt reprendre le cours de ses travaux, quoique l’été fût sur le point de commencer. Le froid était de quelques degrés plus vif que les expéditions antérieures ne l’avaient trouvé à pareille époque et à de plus hautes latitudes. La surface extérieure de la neige commençait cependant à se fondre ; mais la glace conservait encore sept ou huit pieds d’épaisseur sur les lacs et dans les rivières. Un petit nombre de plantes étalaient leur pâle verdure dans les endroits où le sol était à nu. De petites troupes de daims et de rennes, venant du sud et se dirigeant au nord, passaient de temps en temps à quelque distance du navire, suivies de loups affamés qui les accompagnaient dans leur migration pour vivre à leurs dépens. Les Esquimaux s’étaient dispersés dans toutes les directions le long des rivières et des lacs pour faire la pêche des saumons qui y fourmillent à cette époque en quantités incroyables. Les rapports de l’expédition avec eux devenaient de plus en plus rares. Le capitaine Ross résolut, dans les premiers jours de juillet, d’aller les trouver pour leur acheter une partie de leur pêche, et le récit de cette excursion va nous fournir une nouvelle preuve de la voracité de cette nation, non moins frappante que celle déjà citée plus haut.

« Au détour d’un de ces monticules alluvionnaires que j’ai déjà décrits, nous découvrîmes la rivière et les huttes des Esquimaux situées à environ un mille du bord opposé. Sur l’invitation de notre guide, nous tirâmes un coup de fusil auquel ils répondirent par une acclamation générale. Laissant le traîneau en arrière, j’arrivai bientôt au village, où je fus reçu à bras ouverts par notre ancien ami Ikmalik. Il nous apprit que la saison de la pêche dans les rivières était arrivée à sa fin, et qu’ils allaient partir pour les lacs, mais qu’ils resteraient un jour de plus si nous voulions demeurer avec eux. Notre traîneau arriva au même instant, nous dressâmes notre

  1. On sait que le capitaine Back, dont il est ici question, s’est généreusement dévoué à aller par terre à la recherche du Victory, en traversant le continent américain depuis Quebec jusqu’au cap Turnagain, et qu’il n’est pas encore de retour après deux ans d’absence.