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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

père, agissant d’après cette conviction, ce qui était assez naturel, avait résolu de se venger de la manière qu’on vient de voir.

« J’eus beaucoup de peine à persuader à la bonne femme que nous étions tout-à-fait innocens de la catastrophe, et que nous la ressentions vivement. Cependant elle répéta ce que nous venions de lui dire à deux hommes qui n’avaient pris aucune part à l’attaque, et qui s’approchèrent aussitôt de nous sans armes en signe de paix. Leur but était de nous engager à retourner à bord et de revenir dans trois jours, nous promettant de nous conduire alors où nous voulions aller. Mais beaucoup de raisons s’opposaient à cet arrangement : la principale était que ce malentendu étant le premier qui arrivait entre eux et nous, il était important de s’expliquer et de redevenir bons amis comme auparavant, sans aucun délai, de peur que l’occasion ne se représentât plus. Je rejetai donc la proposition et déclarai que je ne m’en retournerais pas avant que notre ancienne amitié ne fût rétablie, et m’apercevant que le parti hostile s’approchait peu à peu de nous, dans la seule intention, probablement, d’entendre notre conversation, je traçai une ligne sur la neige et leur signifiai qu’aucun d’eux n’eût à la franchir sans jeter son couteau. Après quelques pourparlers entre eux, leurs physionomies farouches commencèrent à s’éclaircir, et les couteaux furent mis de côté ; enfin, paraissant convaincus, du moins en apparence, que nous n’étions pour rien dans la mort de l’enfant, ils se montrèrent empressés à détruire la mauvaise opinion que leur conduite avait pu nous faire concevoir.

« Ils nous pressèrent néanmoins de regagner le navire, attendu, dirent-ils, qu’il leur était impossible de faire usage de leurs chiens tant que trois jours ne s’étaient pas écoulés après la mort d’un membre de leur famille. Quoique ce fût probablement un usage funéraire ou une période fixée pour le deuil, je ne me sentais pas disposé à céder sur ce point, s’il y avait moyen de surmonter la difficulté. Une perte de trois jours dans cette saison était trop importante ; j’exhibai, en conséquence, une grosse lime, et l’offris à celui d’entre eux qui voudrait m’accompagner, les assurant en même temps que, si tous refusaient, nous partirions seuls, et qu’ils perdraient ainsi la récompense promise. Là dessus eut lieu une contestation de quelques minutes, pendant laquelle j’entendis souvent répéter le mot : « Eck-she » (fâché), accompagné de mon nom. Enfin un individu nommé Poo-yet-tah, cédant aux prières de sa femme, offrit de m’accompagner, pourvu que je voulusse permettre à Il-lik-tab, beau jeune homme de seize ou dix-sept ans, de se joindre à nous.

« J’y consentis d’autant plus volontiers que deux compagnons de voyage valaient mieux qu’un seul, et ils se rendirent aussitôt dans leurs huttes pour