Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/537

Cette page a été validée par deux contributeurs.
531
PORTRAITS DE ROME.

on prend Rome en grippe, ce n’est pas à demi. Il ne voyait plus dans ses ruines que


De vieux monumens un grand amas pierreux.


et dans lui-même qu’un Prométhée cloué sur l’Aventin.

Dans ce qui précède, Dubellay nous a montré, à l’occasion de Rome, tous les côtés de l’ame d’un littérateur du xvie siècle. Ces hommes, qui vivaient au sein de l’antiquité, étaient en même temps presque tous de joyeux compères, aimant à railler et à s’ébaudir. Nous avons vu Dubellay prendre par le côté comique la plus tragique des cités : c’étaient aussi de bonnes gens attachés à leur province, à leur manoir, à leur clocher, non des pédans sans entrailles, étrangers aux affections du pays et de la famille. Dubellay, au bord du Tibre, regrettait son Anjou, comme Belleau ou Ronsard revenaient volontiers de leurs excursions imaginaires sur le Pinde grec, dans leurs maisons du Perche et du Vendômois. Ce touchant triomphe de la bonhomie sur l’imagination, des affections domestiques de l’homme sur les jouissances cosmopolites du savant, est exprimé avec bien du charme dans le sonnet suivant. On ne peut sacrifier de meilleure grace l’antiquité au présent, et les souvenirs poétiques de Rome aux simples émotions de la patrie.


Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parens le reste de son âge.

Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée ? Et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ?
Qui m’est une province et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,

Plus mon Loyre gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Lyré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.